Je ne vais pas tartiner une couche trop imposante, l’édito de réforme a déjà très largement et plus encore fait son taf, pour ce qui est de mon dilettantisme à inscrire dans un parcours. Oui, c’est une première, sur les 45 disques mis en avant aujourd’hui, seule une douzaine aura fait l’objet d’une chronique. Parce qu’encore une fois, si la musique continue de prendre une place essentielle dans ma vie, écrire à son sujet, en tous cas dans cette forme là, n’est plus bardé de la même urgence. Et parce qu’à force d’avoir trop fréquenté les niches, je me supporte de moins en moins en chien de garde. Mon estomac apporte déjà suffisamment de preuves de mon aigreur chaque jour pour que je participe un peu plus à l’ulcère. Mes goûts évoluent, plein de trucs que j’avais adulé sans réserve il y a même pas cinq ans m’écoeurent aujourd’hui complètement, mais j’imagine qu’à force de rosser des disques et des genres, c’est une réaction classique.
Si vous trouverez dans cette sélection malgré tout des albums tout à fait « régaliens », et qui ne révolutionnent en rien leur genre, j’avoue avoir cette année particulièrement apprécié des travaux qui faisaient bouger les lignes, et dont la moelle principale demeure à mon humble avis la volonté d’hybridation. Des disques, qui racontaient quelque chose de leurs auteurs. Même cette fameuse IDM, idolâtrée il y a dix ans, conspuée depuis cinq, a amorcé dans mon coeur un semblant de retour en grâce. Sans doute parce que comme moi, elle regarde son passé avec un oeil neuf. Et qu’elle a appris à envisager la nostalgie de manière plus apaisée. Preuve en est que rien n’est donc figé, et que ce qui m’agace aujourd’hui pourra à nouveau m’exciter demain.
A force de faire des sélections annuelles, j’ai aujourd’hui plus que jamais déconstruit ce besoin d’inscrire la classification dans l’immédiateté, en représentant plus ça dans un contexte qui m’est propre, dans la relation à l’humeur et dans d’inexplicables besoins et ressentis personnels. Seul le temps sait comment certains disques s’inscriront au final durablement. Et si dans dix ans il n’en reste que deux ou trois, ce sera déjà pas mal. C’est donc sans doute la dernière année où ma sélection est essentiellement électronique, ce qui m’offrira aussi l’occasion d’écrire sur autre chose et peut-être même de vous faire découvrir des révélations musicales moins convenues. Je m’autoriserai cependant, via facebook, à relayer des articles venant d’autres sites si je juge qu’ils le méritent, à propos d’albums (ou d’autres choses d’ailleurs) sur lesquels je n’ai simplement pas envie d’écrire, ou juste parce que le texte me plaît.
N’ayez crainte, je ne participerai en aucune mesure à buzzifier cette nouvelle lubie qu’est l’ASMR, dans laquelle je vois les apôtres du développement personnel s’unir aux hipsters récalcitrants, toujours plus avides de bulles spéculatives pour mieux se branler de la main gauche avec ainsi l’illusion que quelqu’un d’autre le fait.
Ces dix ans de chroniques musicales auront surtout peu à peu mis en relief une obsolescence de ma relation à l’exercice, et un besoin viscéral de mettre à jour mon désir d’écrire à ce sujet. Avec une envie et une excitation toute nouvelle, le temps qui vient en ligne de mire, voici cependant la sève de ce que fut mon année musicale écoulée.
Bonne année (mon cul) à tous et toutes. Que les fréquences vous soient propices.
40.
Marc Barreca – Shadow Aesthetics (Palace Of Lights) (Ambient) Extrait
Vétéran ayant fait ses classes au début des années 80, Marc Barreca est un des derniers représentants de l’école « Brian Eno » à avoir encore quelque chose à dire de réellement pertinent. Rien de révolutionnaire, mais remarquable et luxuriant en tous points.
39.
Lucrecia Dalt – Anticlines (RVNG Intl.) (Modular Synth, Spoken Word, Pop)
Au rayon des délires dadaïstes armés d’outils de synthèse modulaire, il faut savoir faire un tri. La colombienne tire aisément son épingle du jeu. Flirtant avec la pop, ses curieuses vignettes sont toujours ludiques et accessibles, et se révèlent comme particulièrement addictives au gré des écoutes.
38.
Eartheater – Irisirri (PAN) (Electronic, Art Pop, Experimental)
Si l’aujourd’hui très surcoté label PAN ne me met plus en émoi depuis déjà longtemps, le projet d’Alexandra Drewchin a de quoi installer le doute dans les certitudes. Bien moins maniéré qu’un Arca, même si parfois un peu plus criard, son album est lui aussi un bel exemple de mariage entre expérimentations intelligentes et pop accessible à tous.
37.
Blawan – Wet Will Always Dry (Ternesc) (Techno)
Jamie Roberts prouve avec cet album qu’il est capable de faire preuve de retenue et de subtilité, posant là un exemple rare de techno parfaitement maîtrisée et surtout très intelligemment écrite.
36.
Kali Malone – Cast Of Mind (Hallow Ground) (Drone, Ambient, Experimental)
Si elle a surtout fait parler pour ses travaux avec les orgues cette année sur Ascetic House, l’américaine installée à Stockholm développe sur Hallow Ground un univers très original et personnel, doté d’une puissance impressionnante, où elle tisse des harmonies de folie entre un gros Buchla et des instruments à vent. Ceux qui l’ont vu à l’Atonal, au café OTO ou au Norberg Festival ne s’y sont pas trompés, la californienne Kali Malone est une des artistes qui va compter dans les années qui viennent. A commencer par sa collaboration déjà annoncée avec le toujours passionnant Acronym.
35.
Lea Bertucci – Metal Aether (NNA Tapes) (Experimental, Ambient, Saxophone)
La compositrice et saxophoniste américaine est une véritable alchimiste. Toujours dynamiques, ses graphiques expérimentations cousues de feedbacks, de bandes magnétiques et d’improvisations cuivrées, trouvent leur point d’orgue sur cet album de qualité plus que supérieure.
34.
Map.ache – Vom Ende Bis Zum Anfang (Giegling) (House, Ambient) Extrait
Je l’avais écrit je ne sais plus où, mais malgré le départ vers d’autres mondes de Prince Of Denmark, Giegling est ce qui est arrivé de mieux à la house depuis fort longtemps. L’album de Map.ache pourrait même être une définition parfaite de l’élégance.
33.
Tape Loop Orchestra – Return To The Light (TLO) (Ambient, Drone, Experimental)
Toujours pas de streaming, des versions digitales distribuées avec parcimonie, Tape Loop Orchestra poursuit son oeuvre dans une discrétion et un anonymat tout sauf proportionnel avec l’empreinte qu’il laisse sur l’ambient moderne.
32.
Cremation Lily – In England Now, Underwater (ALTER) (Electronic, Downtempo)
Coutumier jusqu’alors de sonorités post-industrielle et de narration nébuleuse, Cremation Lily s’essaie sur cet album à une éruption mélodique et donwtempo du plus bel effet.
31.
Witxes – Orients (Consouling) (Ambient, Experimental)
Le lyonnais Maxime Vavasseur est un des rares artistes ambient à se produire en live, et en le faisant très bien. Après un passage compliqué du côté de chez Denovali, le disciple de Tim Hecker et de Ben Frost signe avec Orients son album le plus personnel et aussi le plus abouti à ce jour.
30.
Leftina Osha – Too Much For Nothing (Audio. Visuals. Atmosphere) (Electronic, Synth, Pop) Chronique
Sans concrètement que j’arrive à identifier pourquoi et comment, Too Much For Nothing m’évoque l’enfance et son esprit, cet âge vierge de tout, où l’inconscient succombe à une errance imaginaire qu’on aimerait ne jamais voir tarie. Ce moment innocent, où l’arbre de la vie a pour plus grande obsession de faire naître des fleurs, plutôt que porter ses fruits.
Too Much For Nothing ne flattera pas toutes les oreilles comme il a irradié les miennes. C’est en tous cas une nouvelle et toute autre palette de compétences offerte par Restive Plaggona. La nostalgie du rêve, tout un programme pour sublimer les insomnies.
29.
Anenon – Tongue (Friends Of Friends) (Ambient, Jazz)
J’avais découvert Anenon il y a dix ans, sur le projet du mystérieux Asura paru chez Non Projects. Son album Tongue m’a très souvent accompagné cette année, et se révèle comme une fusion entre ambient et jazz particulièrement inspirée.
28.
Yann Novak – The Future Is A Forward Escape To The Past (Touch) (Ambient, Drone, Field Recording, Experimental)
Après plus de quinze ans passés à diriger son label Dragon’s Eye Recordings, le designer et plasticien sonore Yann Novak s’ouvre enfin les portes d’un label légendaire à la hauteur de son talent. Sans doute son album le plus ambitieux, et peut-être le plus passionnant.
27.
Debit – Animus (NAAFI) (Electronic, Post-Industrial, Techno, Experimental)
Delia Beatriz nous vient du Mexique, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle livre avec Animus un pamphlet politique rare et une des oeuvres « post-techno » les plus originales entendues depuis longtemps. Une artiste et un label qu’il faudra suivre de très près.
26.
Hiro Kone – Pure Expediture (Dais Records) (Electronic, Indus, Bass, Experimental)
Hiro Kone a accompagné Drew McDowall lors de sa récente tournée. Et elle fut acclamée autant que le maître. En live comme sur album, sa mixture tellurique est d’une troublante efficacité.
25.
Frédéric D. Oberland – Labyrinth (Nahal Recordings) (Ambient, Experimental)
Le guitariste de Oiseaux-Tempête n’est pour moi jamais aussi passionnant que lorsqu’il oeuvre en solo et avec les contraintes de l’enregistrement. Trois ans après un Peregrinus Ubique de toute beauté (sorti sur un label que je co-dirigeais), il publie sur le label qu’il co-conduit avec Mondkopf un Labyrinth d’une rare intensité. C’est un album qui m’évoque le cinéma opaque de Sharunas Bartas, et les films muets de Dreyer. Un peu comme regarder à travers un judas l’intimité d’une chimère. Le musicien se révèle en artificier de la lumière.
24.
The Prime Minister Of Doom – Mudshadow Propaganda (Planet Uterus) (Techno) Extrait
Loin des sentiers promotionnels habituels, Prince Of Denmark a encore tué le game cette année. Pas d’extraits, pas de streaming, pas de version digitale, et pourtant sold out seulement quelques heures après sa sortie. Les diggers guettent la repress avec l’énergie du désespoir. Le versant techno, peut-être un léger cran en dessous de sa déclinaison house, qu’on retrouvera un peu plus haut (en bas en fait) dans le classement.
23.
Ipek Gorgun – Ecce Homo (Touch) (Ambient, Experimental)
La musicienne turque commence à se faire un nom dans le milieu expérimental grâce à ses installations. Egalement bassiste et chanteuse, elle publie un firmament de finesse et de luxuriance sonore sur le légendaire Touch. De quoi on l’espère, lui faire gagner en visibilité.
22.
Jessica Moss – Entanglement (Constellation) (Modern Classical, Ambient)
Echappée temporairement de la formation A Silver Mt. Zion, la violoniste canadienne signe avec Entaglement son plus bel album à ce jour, et un des rares disques étiquetés « modern classical » à m’avoir réellement transcendé.
21.
Drew McDowall – The Third Helix (Dais Records) (Ambient, Modular Synth, Experimental)
Moins bruitiste et donc moins immédiat que son Unnatural Channel de l’an dernier, The Third Helix est malgré tout une référence en matière de pérégrination modulaire tortueuse. Une expérience sonore épidermique et d’une densité qui force l’admiration. Les fans de Coil apprécieront, les autres aussi si ils l’investissent à sa juste valeur.
20.
Christoph De Babalon – Exquisite Angst (Breakcore, Drum’n bass, Electronic)
Alors que son chef d’oeuvre If You’re Into It, I’m Out Of It vient enfin d’être ré-édité, il a presque confidentiellement sorti ce recueil de morceaux qui datent de la même période. Pas que des inédits dans la boite, mais le seul Are You Talking To Me vaut l’acquisition de la galette par tous les moyens. Le seul artiste qui peut me faire écouter de la drum’n bass toute la journée. Un nouvel album est prévu en 2019, toutes les espérances sont permises.
19.
Helena Hauff – Qualm (Ninja Tune) (Techno, EBM, Elecronic)
On reproche souvent aux Djs de ne pas retranscrire l’énergie club sur un format album. Celui-ci a le regard noir et la ride du lion creusée dans les sillons. Avec des influences très 80’s (EBM, Acid…), l’allemande pose là une poutrasse aussi efficace que moderne et s’installe comme une des références de la techno mondiale. Et tout ceci sur un Ninja Tune qui ne cesse de revenir à un niveau d’exigence exemplaire.
18.
Djrum – Portrait With Firewood (R&S) (Ambient, Bass, Experimental) Chronique
Portrait With Firewood est un disque accompli, et devrait, au moins sur le plan du studio, faire franchir un cap sévère dans le rayonnement du Dj anglais. Il va en tous cas très durablement squatter la platine, et aussi bousculer certaines représentations qu’on voue aux gaziers de la bass. Puisque certains se révèlent de tels musiciens insoupçonnés…
17.
Burning Pyre – The Look Of Love (Perfect Aesthetics) (Synth, Electronic, Ambient) Chronique
Pour illustrer comme elle le mérite sa thématique principale, Burning Pyre a fait le choix d’utiliser des nappes torrentielles et des textures gazéifiées. Pour créer une ambiance qui submerge l’auditeur de sentiments simples mais essentiels. Pour révéler cette représentation de l’amour qui est la sienne, et ceci dans toutes les nuances d’une obsidienne.
Il y a finalement peu de mots pour décrire cet album très simple mais essentiel, où les mélodies synthétiques suintent vers la pop pour toucher le plus grand nombre. Ce qui impressionne le plus est sans doute ce sentiment d’hypnose maintenu jusqu’au bout, aussi bien quand la passion tutoie l’attente, et quand le bonheur se mélange au spleen pour créer une sensation douce amère de délicieuse affliction.
16.
Resina – Traces (130701/Fatcat) (Cello, Modern Classical, Ambient Experimental)
Plus ambitieux et abouti que son prédécesseur, qui valait déjà son pesant de cachous, Traces installe la violoncelliste et compositrice polonaise parmi les poids lourds de la scène mêlant ambient et compositions classiques modernes. C’est sorti sur la sous-division 130701 de Fatcat, qui quand elle ne succombe pas aux mièvreries pianistiques à la Erased Tapes se révèle être un label sûr.
15.
Hawthonn – Red Goddess (Of This Men Shall No Nothing) (Ba Da Bing Records) (Ambient, Doom, Electronic)
A la fois âcre et lumineux, l’album conçu par Layla et Phil Legard m’a captivé comme peu l’ont fait cette année. Drones de cachalots, riffs plombés et plombants, voix fantomatiques toujours bien senties, frappes presque industrielles, tout ici est au service d’une narration musicale sans failles, m’évoquant l’illustration d’un féminin sacré, baroque, et en clair obscur. Un disque de chevet qui se bonifie au gré des écoutes. Mon précieux de l’année.
14.
ASC – The Outer Limits (Auxiliary) (Techno, Breakbeat, Electronica)
Jusqu’ici, j’avais un problème avec ASC. Avant tout parce qu’il officie souvent dans la dub techno, et que c’est le sous-genre électronique qui m’ennuie au plus haut point (avec le dubstep). Mais The Outer Limits dépasse allègrement ces frontières là, et se révèle comme une oeuvre conceptuelle majeure, à la frontière de l’IDM et de la techno interstellaire, cousu de breakbeats complètement tarés. Une révélation plus que recommandable.
13.
Morphology – Traveller (Firescope Records) (IDM, Electronica)
En dix ans de chroniques musicales, je pense avoir autant adulé l’IDM moderne que je lui ai chié dessus. Sans doute pour équilibrer mes excès emphatiques du passé. Et pourtant, cette année revoit le genre truster des sommets de qualité. Parmi les plus notables, il y a cet album de Morphology, qui est un peu plus qu’une pièce revival célébrant la nostalgie. Il m’a évoqué une fusion entre les plus beaux travaux de Beaumont Hannant et Mike Paradinas. Excusez du peu.
12.
Varg – Nordic Flora Series Pt.5 Crush (Posh Isolation) (Techno, Experimental)
Aussi insupportable puisse-t-il paraître, Varg continue d’exceller dans un terrain de jeu techno dont il ne cesse de dépasser nonchalamment les limites. Ce cinquième tome des Nordic Flora Series ne déroge pas à la règle, et installe encore un peu plus son auteur comme ce qui est arrivé de mieux à la techno depuis plus de dix ans.
11.
Richard Devine – Sort/Lave (Timesig) (IDM, Modular Synth, Electronica) Chronique
La raison pour laquelle Richard Devine est nettement moins reconnu que les autres vaches sacrées de l’IDM, malgré ses passages par Warp et Schematic, est finalement assez simple. Il fait partie de ceux qui ont compris qu’ils gagneraient bien plus confortablement leur vie en faisant du sound design qu’en sortant des disques.
Sort/Lave est donc, malgré quelques critiques maigres mais nécessaires, un ouvrage de premier ordre pour qui découvre ou continue de vouer un intérêt à la scène IDM. Une scène qui se maintient plus ou moins volontairement, à l’exception d’Autechre, parfaitement dépendante et à distance de son maître incontesté et incontestable. L’avenir dira si elle y survivra, encore.
10.
Liberez – Wat Through Vulnerability (ALTER) (Electro-Acoustic, Indus, Experimental) Chronique
Sans surprise, Way Through Vulnerability est une poutrasse qui devrait marquer. La bande originale parfaite pour donner le change à la bourse, exproprier les agences immobilières et clouer au pilori les pittoresques. Jouir dans les cendres du vieux monde avec l’ivresse et la colère pour maîtresses jusque dans la veine, sans se tromper de flamme. Juste pour redonner ses lettres de noblesse à la radicalité. Et trouver ça beau et légitime, sans culpabiliser.
9.
Ian William Craig – Thresholder (130701/Fatcat) (Ambient)
Ce type m’impressionne de plus en plus. Je le pense secrètement incapable de se soustraire à l’excellence, alors qu’il se renouvelle en plus à chaque fois. Cet album est autrement plus « vocal » qu’à l’accoutumée, flirtant parfois avec les musiques sacrées. Toujours est-il que le gars parvient à poser un mélange de voile et de disto sur ses productions qui échappe à toute analyse, et qui constitue un ravissement permanent.
8.
Profligate – Somewhere Else (Wharf Cat) (Experimental, Electronic, Pop, Trucwave) Chronique
A partir d’influences aussi diverses que finalement reliées; telles que la synthwave originelle, le recours industriel Coilesque, un background techno encore juste assez vivant et la pop dansante mais teintée d’amertume qu’on pouvait entendre dans les milieux gays des 80’s, Profligate livre ici une création extrêmement intelligente, très personnelle et foutrement rafraîchissante. Dans un futur idéal, cet album serait pour moi l’étendard d’une pop érudite, moderne et aventureuse.
Somewhere Else porte définitivement bien son nom. Si la pop électronique a presque toujours été une pantalonnade sans nom, ce disque réhabilite l’intitulé en l’emmenant vers un ailleurs, où l’expérimentation n’est jamais gratuite ni vaine, mais toujours juste et accessible à tous. Il y a des succès d’estime qui ne doivent rien au hasard ni à une quelconque hype. Xiu Xiu n’a qu’à bien se tenir.
7.
Jasmine Guffond – Degradation Loops (Karlrecords) (Ambient, Drone, Experimental)
Moi qui cantonnais la musicienne australienne aux mignonnises de chez Sonic Pieces, quelle ne fut pas ma surprise face à cet ambient fourmillant de détails, de glitchs et de distorsions magnifiques. Un peu plus de trente minutes de pur bonheur éprouvant et un album juste majeure. Une des surprises les plus inattendues de l’année, de la part d’un label (Karlrecords) qui devient de plus en plus pertinent au fil du temps.
6.
Matthias Puech – Alpestres (Hands In The Dark) (Modular Synth, Ambient, Field Recording, Experimental) Chronique
Le moins qu’on puisse dire est qu’on est ici dans l’orfèvrerie pure, et que lorsque Matthias Puech a demandé à un certain Lawrence English de faire sonner ça comme je cite, « un voyage mythique et magique à travers les Alpes et au plus profond de la psyché des peuples qui y vivent, pour qui les menaces de la haute montagne, la fragilité de la vie humaine et animale, la beauté et la rareté de la nature font partie d’un même ensemble », il n’a pas eu de difficultés à s’exécuter.
Même en pesant mes mots et ma passion, Alpestres est un album littéralement sidérant. Un monde englouti où se ravivent les miettes de l’enfance. Une véritable randonnée céleste, source de jouvence.
5.
The Empire Line – Rave (Northern Electronics) (Techno) Chronique
On peut reprocher bien des choses à ces nouveaux rois arrogants venus du froid et dépourvus de sourires, mais on peut reconnaître sans mal que l’alternative qu’ils posent sur le milieu depuis déja quelques années a quand même une sacrée gueule. Rave est une synergie de compétences, qui sait allier la sombritude à l’hédonisme et fusionner l’agression à l’émotion. Rave est un cocktails de projectiles célébrant la courte portée, le fracas de corps capables d’abattre symboliquement les murs des clubs pour vivre librement et rapidement ses sombres rêves à ciel ouvert. Rave est un album qui crie sa fureur comme les fous le font les soirs d’orage. Un glaviot DIY dans la gueule de celles et ceux qui avaient cru kidnapper son héritage.
Northern Electronics continue avec quelques autres d’écraser la planète techno. Avec plus qu’un hommage au plus que regretté Mika Vainio. Faire fusionner Samuel Kerridge et Alberich ? Certains en rêvaient. Varg et ses potes l’ont fait. Toi aussi, pousse des cris d’amour comme un loup orphelin des steppes dancefloor par dessus l’acension et les synthés soyeux de Fast Forward. Une véritable buterie. And Nothing Else Matters.
4.
Tim Hecker – Konoyo (Kranky) (Drone, Ambient, Experimental) Chronique
cet album illustre un entre deux états ou entre deux mondes, celui de la vie (konoyo) et celui de la mort (anoyo). A mon avis, les instruments japonais jouent le rôle des sursauts de ces esprits et âmes en congé, qui mettront 49 jours pour passer définitivement vers l’au-delà, mais qui durant cette période bénéficient d’un sursis lors duquel leurs actions peuvent avoir un véritable impact sur le monde des vivants. Artistiquement, Tim Hecker s’offre donc là un terrain de jeu inépuisable, où son art de la manipulation des volumes, des contrastes et des intensités relève de la joallerie jusque dans les furtifs sentiments de longueur (In Death Valley, Keyed Out, A Sodium Codec Haze). De plus, celui qui a toujours montré un intérêt notable pour le mysticisme en l’émancipant du dogme et de toute religiosité, va trouver un écho tout particulier entre son art et les valeurs ancestrales du shintoisme qui reconnaissent la valeur du sacré dans toute chose, animée comme inanimée.
Connaissant les positions de Tim Hecker sur l’état du monde, difficile de ne pas voir également dans cet album un peu plus qu’un plaidoyer environnemental comme il en existe plein. On peut même supposer qu’il fait partie des plus en plus nombreux suiveurs de la collapsologie et de ses théories sur l’effondrement civilisationnel, qui savent que l’humanité est globalement inconsciente de son sursis. Difficile donc de ne pas étirer cet entre deux états à l’ensemble du genre humain. Cet album est donc aussi beau et terrifiant que cette incontestable et troublante vérité : Si l’humanité se meurt, la vie elle, lui survivra.
3.
Dj Healer – Nothing To Loose (All Possible Worlds) (House, Deep House) Extrait Chronique
En ces temps troublés, le clubbing et l’absorbtion massive de drogues sont des exutoires à la portée d’une jeunesse à qui on offre pas grand chose de mieux. Mais parce que les anges aussi ont des ailes, Dj Healer inscrit tous ses espoirs de résilience dans les travées du ciel. Mélancolie, romantisme, bienveillance et espoir. Quatre mots cousus en lettre de feu, pour soustraire les âmes en peine aux paradis artificiels.
Si Nothing 2 Loose n’est en aucun cas un album calibré pour le club, il est une offrande à ceux qui le fréquentent. Une invitation à se questionner sur pourquoi on danse, et ce vers quoi on tente de s’échapper.
Fresque lancinante où chaque nappe et chaque breakbeat sont posés avec la minutie des orfèvres, l’album semble pourtant à l’abri de toute compression et de surproduction superflue. Indépendamment de toute connexion avec le créationnisme, c’est une expérience introspective et isolationniste à la découverte de soi dans un monde trop grand ouvert.
La hype ne ment pas toujours. Nothing 2 Loose est une tuerie sans nom qui devrait faire date, jusqu’à s’incrire dans l’intemporalité. Une fresque house domestique, invitant les anges du ciel et du club à ne plus avoir peur de se brûler les ailes en approchant du soleil.
2.
Skee Mask – Compro (Ilian Tape) (IDM, Electronica) Chronique
Compro nous invite à partager un voyage encapuchonné au dessus des villes, où on lévite entre les tours qui « headbangent » quand on leur souffle des bulles de savon contre la verrerie. Des rythmiques qui assassinent la nuque, des mélodies intrépides qui rassurent l’oisiveté. Juste de quoi acidifier l’amère asphalte de nos cités.
Compro est un disque relevant de l’excellence. De celle qui peut prétendre à la légende. Saluez comme il se doit ce jeune et humble nouveau roi couronné d’une casquette. Que son règne soit long et prospère.
1.
Eli Keszler – Stadium (Shelter Press) (Drums, Electro-acoustic, Experimental) Chronique
Entre sa formation jazz qu’on imagine très scolaire, Eli Keszler a su faire cumuler ses skills de base à celles d’un percussionniste illuminé qu’on croise parfois dans les artères des grandes villes. Et cette hybridation, qui doit autant au jazz de papa qu’aux expérimentations ludiques intelligentes ou au tumulte urbain, a quelque chose de résolument sidérant. Si il n’y a absolument rien à jeter dans ce disque, pas même ce subtil recours à l’atonalisme puisqu’il n’est jamais vain, j’avoue que l’écoute des titres We Live In Pathetic Temporal Urgency, Flying Floor For U.S. Airways, Fashion Of Echo ou (le subime) Bell Underpinnings (de fermeture) m’oblige à retenir ma salive pour ne pas m’inonder la barbe comme un trépané qui pense avoir vu dieu.
Je me plains suffisamment souvent du fait que la musique n’invente plus rien. Je me réjouis donc sans la moindre réserve que l’art de l’architecte drummer ne résonne comme rien de connu. Entre les immeubles et le soleil, Eli Keszler érige des ponts menant à de nouveaux jardins suspendus.
HORS MES MURS.
Low – Double Negative (Sub Pop) (Experimental, Rock, Electronic)
Parce qu’à chaque album, la formation se ré-invente et perpétue l’excellence. Et que même si leurs plus anciens et plus slowcore travaux ont toujours ma préférence, ce groupe prouve une nouvelle fois que le rock et l’étiquetage en général sont des costumes bien trop étroits pour eux
Emma Ruth Rundle – On Dark Horses (Sargent House) (Rock, Post-Rock)
Parce qu’en terme d’arrangements, d’harmonies et de sognwriting, Emma Ruth Rundle n’avait pour moi encore jamais atteint ce niveau là. Tant et tellement que même lors de certaines magnifiques parties instrumentales, on ne serait pas gênés qu’elle ne chante pas. Celle qui a trop longtemps été comparée à Chelsea Wolfe a franchi un cap, dont on peine aujourd’hui à pouvoir entrevoir les limites.
Alpha Wann – Une main lave l’autre (Don Dada) (Rap en français) Extrait
Parce qu’à l’heure où on glorifie de vulgaires kickeurs incapables de respecter un tempo sur plus de quatre mesures, Philli Flingue place sur UMLA tous les techniciens français en PLS. En terme de placement, de variation de débit, de flow pur, d’utilisation de la rime multi-syllabique ou non, le MC francilien semble avoir trois coups d’avance sur le futur et toute concurrence potentielle. Un album qui s’est au final trop peu vendu, et qui est pourtant déjà un classique. De quoi réformer bon nombres de mes certitudes quant aux membres de L’Entourage et de 1995, même si sur certains titres, Jazzy Bazz m’avais déjà foutu des claques.
Bliss Signal – Bliss Signal (True Panther Sounds) (Black Metal, Techno, Ambient)
Parce que ce je ne connais absolument rien au black metal, mais que dans cette fusion électronique là, ça me parle plus que méchamment.
BAMBARA – Shadow On Everything (Wharf Cat) (Rock, Blues, Psychobilly)
Parce que même si le groupe n’invente rien si ce n’est l’hommage retro parfait, convoquer aussi bien les périodes les plus chamaniques de Nick Cave (The Birthday Party, Grinderman) et la fièvre de l’éternel Gun Club, c’est déjà une performance par définition. Un des trucs les plus intense et mieux écrit que j’ai pu entendre dans la catégorie rock depuis des lustres. Si l’album est parfait, le groupe est actuellement une des formations les plus efficace à voir en live. Sorti chez Wharf Cat, dont l’ensemble du catalogue très éclectique est toujours un peu plus passionnant.
un top 2020 je vous prie
Un top 2019 svp
le top 2019 svp?
Qu’une liste 2019 doive ou non voir le jour, s’y ajoutera pour moi le silence définitif de Mark Hollis.
Mes remerciements au passage pour le site. New grass.
Et moi je me demande, à ma fenêtre, si le portrait de janvier sera celui d’Emmanuel Cabut. Étrangement, quelque part, je suis curieux. La bouche dégoulinante, d’une valve qu’on mâche encore.
Oui.
et si, concernant la musique, vous passiez de l’autre coté du miroir ?
bonne année à vous. et mon cul n’y est pas pour grand chose.