Depuis mai dernier, la légendaire maison raster-noton a connu une refonte de son site internet, mais aussi une restructuration bien moins anecdotique. Sans aller jusqu’à parler de scission, force est de constater que Byetone et Alva Noto souhaitent désormais effectuer une distinction concernant leurs choix de productions et protéger leurs terrains de jeux respectifs. Olaf Bender sera raster et ce cher Carsten Nicolai sera noton. Ils reviennent ainsi à la configuration initiale du label avant la fusion de 1999. Doit-on désespérer face à la fin de cette union sacrée ? Pas si sûr, car l’album aujourd’hui présenté n’aurait peut-être jamais vu le jour sans ce notable changement. Decadent Yet Depraved est le premier album du duo Belief Defect, formation qui souhaitait à la base conserver l’anonymat. Même si rien n’a été confirmé par les différents intéressés, les hommes derrière le rideau seraient Drumcell et Luis Flores. Théorie plus que probable si on étudie un peu les univers de chacun ou les collaborations qu’ils ont déjà effectué à quatre mains, et si on en croit ceux qui ont eu la chance de les voir se présenter au Berlin Atonal pour une prestation unanimement saluée. Bref, Decadent Yet Depraved est sorti il y a quelques jours sur raster, et il poutrasse des ratons laveurs.
Raster-noton nous avait habitués à un son clinique, sans aspérité, souvent taxé d’élitisme et doté d’une vision très arrêtée de la modernité. Sans aller jusqu’à qualifier l’album en lui même comme révolutionnaire, disons qu’il redistribue les cartes mères que le label avait jusqu’alors érigé en art de vivre. Tout a d’ailleurs déjà été lu et entendu après la prestation rendue au Berlin Atonal. Je vous épargnerai donc les noobesques, hystériques et stupéfiantes étiquettes ou tirades telles que « doom electro » ou « flatulences post-apocalyptiques d’une matrice agonisante contre Méluche le Grand ». True Story. Soyons un tout petit peu sérieux.
Les hybridations technoïdes vaguement indus à la sauce bass n’ont rien de neuves. L’ensommeillé label Ad Noiseam en avait d’ailleurs fait sa ligne artistique il y a déjà presque dix ans. On peut d’ailleurs rapprocher le disque du jour des travaux de Swarm Intelligence. Alors pourquoi tout ce pataquès autour de Belief Defect ? Simplement parce que les deux gaziers vont sans doute plus loin, et font peut-être mieux que leurs aînés.
J’ai un respect sans bornes pour les artistes venus du club qui ont l’intelligence de ralentir le tempo. J’aime à répéter qu’en musique comme en balistique, les projectiles lents sont connus pour commettre plus de dégâts. Et là, Belief Defect font très très fort. Avec des talents de mix et de production très au dessus de la moyenne, un sens de la fracture rythmique bien vicieux allié à des outils de synthèse jamais avares en pulsions mélodiques.
Si tout ne se vaut pas et que certains passages sont quand même un peu touchés par la sempiternelle démonstration égotique, l’ensemble se situe quand même au dessus du sérieux et dresse Decadent Yet Depraved comme un compagnon durable pour démembrer des mouches et commettre des attentas de bon goût à la gare des mines (l’un est plus éthiquement anti-spéciste que l’autre). Une nouvelle brèche est ouverte pour le label allemand. Tu l’auras compris, il y a désormais des morceaux dans l’institutionnel et dominical pâté de grand-maman.
Cet album est une pure tuerie absolue. Grosse baffe. Endorphine land. Je jouis.
Leur performance à Atonal était de (très) bonne facture. Après « Island People » il y a quelques mois, voici un autre album du label Raster qui, je l’espère, laisse entrevoir d’autres découvertes durant les mois à venir.
Je l’écoute en ce moment même avant d’aller voir Sigha ce soir à la Blocaus. Je pense que je suis en train de regretter mon choix, il serait mieux que je reste sous la couette à écouter en boucle ce petit bijou.