Ce n’est un secret pour personne, Samuel Kerridge fait partie de ces mecs qui ont le don de fasciner, parfois jusqu’à l’obsession, tant tout leur réussit. L’idole des nostalgiques de SPK et de Throbbing Gristle reconvertis à l’Indus 2.0. n’a plus grand chose à prouver. Producteur autodidacte et bidouilleur de génie, auteur de performances live cataclysmiques, cofondateur des soirées berlinoises Contort et plus récemment du label du même nom aux côtés de Hayley, le britannique trace sa route, sourire aux lèvres et surin à la main.
2015 aura d’ailleurs été une année faste pour le couple Kerridge, année marquée par la création du label Contort donc et par 5 sorties. Ceux d’entre vous qui ont pris la peine de prêter une oreille aux sorties en question savent de quoi je parle; La concession n’est toujours pas au rendez-vous et personne ne s’en plaindra. Pour preuves, évoquons succinctement quelques exemples tels que le monstrueux Always Offended, Never Ashamed ou encore la leçon de mix / de vie de Karl O’Connor sur Post Crucifixion. Mais si j’ai décidé de vous parler de Contort aujourd’hui, ce n’est pas pour lustrer des Docs déjà bien luisantes mais plutôt pour vous parler d’une sortie passée quasi inaperçu, le dernier projet d’Emanuele Porcinai sous le moniker WSR.
Je ne vais pas vous raconter de foutaises, je ne connaissais rien de ce mec avant d’écouter Stainless mais très franchement guère besoin d’en savoir plus. Une écoute suffit à replacer le contexte. Emanuele est ingé son de formation. Il est aussi à l’origine d’études et expérimentations bluffantes dans le domaine de la réverbération en lieux clos et cela se ressent. Soyons concis, Stainless est un pur ovni, une sortie venue de nulle part. Turgescences Modern Classical, déflagrations Indus et trainées Drone se toisent, s’effleurent et se percutent tout au long de ce cross-over d’une rare impétuosité. Côté production, l’instrumentation organique tient une place centrale. Cordes diverses et dévisagées, piano, guitare et violoncelle coulent les fondations des expérimentations ascensionnelles de l’anglais – cf. Débris.
Le titre éponyme, particulièrement captivant, conte la sécheresse du monde au gré de percussions esseulées. Morphismes vocaux inintelligibles et cauchemardesques, invocations réprimées, supplications confinées à la trachée fumante annoncent l’intrusion symphonique du tout puissant violoncelle. Le violoncelle, élément fédérateur et fil conducteur, qu’il soit dévisagé ou retranscrit dans sa plus simple nudité, siège ici en figure divine incontestée. Porcinai détaille des songes orphelins, naufragés, matériau d’un univers sonore complexe. Epoux de la rouille, amant de la poussière, jamais le producteur ne laisse son archet glisser vers la facilité. Pluvieuses, fouettées par l’embrun, ses créations d’une puissance paranormale portent les stigmates d’une mélancolie native – cf. le chef d’œuvre No Horizon. C’est également le cas d’Inner Oceans, conclusion mémorable. Ce crescendo Drone est une occasion de plus de constater l’étendue des talents d’expérimentateur du jeune homme. Les cordes malmenées laissent échapper une complainte au timbre méconnaissable, à la beauté anadyomène.
Stainless n’est certes qu’un 4 titres d’une durée totale d’à peine 20 minutes mais ne vous y méprenez pas. Certaines minutes valent plus que d’autres et les 19 minutes 26 de cet EP sont précisément de celles-ci. Porcinai, outsider magnifique, y transcende les codes stylistiques et nous invite à un moment de contemplation dans un espace sonore où ne vibre désormais plus que le corps devenu corde.