Venetian Snares c’est un peu comme Aphex Twin, si tu ne sais pas qui c’est avant de tomber sur la présente page, nous t’invitons à garer ta clio sport tunnée et à (re)lire la « chronique » du Outrun de Kavinsky (ici). Sinon, au cas où, nous te rappelons qu’il est le symbole consacré du breakcore. Tant et tellement que certaines mauvaises langues le dressent même comme l’arbre cachant la (famélique) forêt. Il faut dire qu’Aaron Funk n’a rien sorti de sérieux depuis plus de huit ans, qu’il se fout ostensiblement de la gueule du public et du genre qui l’ont couronné roi. Voilà qui ne l’empêche pas de profiter du titre et de l’assise propre à son nom, pour remplir tous les clubs et festivals du monde entier. Il paraît qu’il faut bien vivre et ne pas être jaloux.
Bref, ses principaux faits d’armes sont des tueries absolues. Point de suspense dispensable, les observateurs du genre s’accordent tous pour dire que Songs About My Cats, Doll Doll Doll et Higgins Ultra Low Track Glue Funk Hits 1972-2006 sont absolument remarquables, et que Rossz Csillag Alatt Született et le format pas si court A Giant Alien Force More Violent & Sick Than Anything You Can Imagine sont des indiscutables indispensables. Voilà, sauf que depuis, rien, où alors juste des foutages de gueule ludiques plus proches de l’onanisme que d’autre chose. On touchait le fond sur Cubist Reggae, tandis que le plus récent et auto-produit Affectionate ré-introduisait plutôt brillamment son amour pour les félins et les fractures de brutes. Voilà, en bref, il existe heureusement des aigris qui pensent qu’il n’y a plus rien à attendre de Venetian Snares (et de Planet Mu d’ailleurs), sauf si bien sûr tu as dix-huit ans demain ou que tu fréquentes des surfers californiens. Sauf que voilà, le retour du boucher de Winnipeg est aujourd’hui tout sauf anecdotique.
On ne va néanmoins pas te mentir plus longtemps (tu sais que ce n’est pas notre genre). L’album du jour ne saurait effleurer les oeuvres intouchables citées plus haut. Considérer que My Love is a Bulldozer est le meilleur disque de Venetian Snares depuis huit ans est une information suffisamment considérable pour qu’on prenne quand même le temps de s’y attarder. Alors oui, le breakcore n’inventera plus jamais rien mais demeure cette musique encore plus excitante à réaliser qu’à écouter (il paraît que c’est pareil pour le drone). Elle est malgré tout réservée aux techniciens confirmés possédant un background rythmique (jazz de préférence) non négligeable. Si en plus c’est fait intelligemment sans surtout ne rien intellectualiser, on peut toucher au sacré. Car malgré ce qu’on tente de nous faire croire ici ou là, le breakcore est un genre qui apprécie se moquer de lui même et puiser dans le mainstream pour réaliser ses plus beaux attentats. Venetian Snares le sait, et même s’il s’est quand même énormément branlé dans son caca, il est pratiquement le dépositaire du concept.
Ne perdons pas de temps, et exposons de suite pourquoi l’album d’aujourd’hui est à applaudir. Parce que malgré un surplus d’intégrations vocales définitivement dans l’air du temps, Aaron semble avoir retrouvé une créativité considérable. Après avoir amoncelé des amen breaks plus convenus et régressifs les uns que les autres, il expose aujourd’hui un drumwork impressionnant. Tissé de contre-temps de furieux, il rappelle que la snare véloce n’est jamais aussi pertinente que lorsqu’elle est l’alliée de charlestons qui patinent et d’une basse aussi lourde que ronronnante, comme dans le jazz pour puristes ou les musiques improvisées en général. N’ayons pas peur de le dire, le breakcore, la drum’n bass doivent absolument tout au jazz (et à Lee Perry, mais c’est une autre histoire).
Dès les premières secondes de 10th Circle of Winnipeg et pendant tout un Your Smiling Face qui suinte quand même beaucoup le Screamin’ Jay Hawkins en transe dans un cabaret d’Harlem 2.0, le canadien vient rendre hommage à cet état de fait incontestable. Et c’est juste particulièrement brillant, tant dans la prod que la composition pure. Signalons également Amazon, même si dans le genre Bogdan Raczynski faisait mille fois mieux et en moins bêtement con sur Samurai Math Beats il y a dix ans, comme un de ces titres qu’on déteste adorer ou adore détester. C’est le breakcore, on s’y perd parfois avec délice, sans la moindre once de culpabilité dans le plaisir. Le goût est parfois douteux, mais on ne demande qu’à en bouffer par barquettes entières. Même chez les esthètes, il est parfois louable de se laisser aller à régresser. Référence au très bien branlé Shaky Sometimes. A bon entendeur.
Autre état de fait, Venetian Snares ne connait dans le genre pas de semblable pour les arrangements de cordes. Il n’y a qu’à tendre l’oreille sur le grain du violoncelle de Deleted Poems (et sur la harpe) pour comprendre qu’Aaron Funk n’a rien de commun avec tous les pégreleux qui pullulent dans les musiques électroniques avec leurs ficelles béantes. Je ne vais donc évoquer que très furtivement l’orchestration de maître qui précède la monumentale boucherie de 1000 Years. L’écoute devrait suffire. Le revers toxique se situera sans doute dans la guitare mariachi kitschissime de 8am union Station. Chut, on a dit qu’on ne parlait que de ce qui ne fâche pas. Soulignons donc comme il se doit tout le génie de compo de l’excellentissime Dear Poet, véritable pierre angulaire de l’album. Il paraît qu’on y trouve même des bruits de jaguars de John Frusciante. Tu me diras que tu t’en branles et je trouverais que tu as bien raison.
Tu remarqueras sans doutes que j’ai tu tous les éléments presque inécoutables de l’album. Les lasers de pompier pyromane, les turbines trop kitsch et tout ce qu’on reproche à Venetian Snares depuis longtemps. Sans doute parce qu’ils sont moins omniprésents qu’à l’accoutumée, et surtout pour ne retenir que le meilleur de ce qui est, qu’on le veuille ou non, un évènement. Alors bonne suée les petit(e)s, et plein de bécots régressifs.