J’ai longtemps attendu avant de vous parler de Soundway Records. Longtemps attendu car ne sachant comment m’y prendre pour m’épancher sur le somptueux catalogue de ce label de diggers spécialisé dans les raretés oubliées des territoires africains, caribéens, latins et j’en passe. Comment évoquer convenablement une musique qui vous fige, mais que l’on ne comprend pas toujours car ne possédant pas les armes et la culture nécessaires pour l’expliquer aux autres ? Finalement, oublions l’aspect purement technique de ce joyeux bordel world et restons plus terre à terre.
Soundway Records est un label londonien créé au début des années 2000 par Miles Cleret. Ce dernier, bercé par la culture ethnic music de papa, revient du Ghana avec une tripotée de raretés improbables dans sa besace. C’est le moment de lancer sa première compilation, Ghana Soundz. L’histoire peut commencer. Lentement, notre homme va arpenter la planète, se jouant des frontières, à la recherche de pépites musicales toujours plus fascinantes. A la différence de l’immense majorité de productions estampillées « Musiques du monde » parvenant jusqu’à nous, les sorties Soundway Records évitent tout cliché ostentatoire. Car il est évident que la majorité des albums world music gonflant les rayons sont avant tout une arnaque visant à assouvir le besoin d’exotisme de nous autres, pauvres occidentaux. Notre rapport à la world music relève plus souvent d’un néo-colonialisme insidieux que d’un lien plus immédiat à la musique ; le péquin lambda aime bien la flute de pan parce que ça lui rappelle les tristes indiens jouant dans le métro, il aime les ambiances caribéennes car son rêve est d’aller se bouger le cul au carnaval de Nothing Hill, il kiffe la salsa car les cubains, eux au moins, savent marier danse et érotisme.
Rien de tout cela chez Soundway Records puisque le label fuit les schémas classiques en s’orientant vers des thématiques toujours plus précises. Commence alors le boulot de digging de l’équipe de Miles Cleret (le bonhomme n’est plus tout seul désormais). Les mecs sillonnent les villages perdus à la recherche d’obscurs musiciens ayant sortis d’énigmatiques titres dans un passé désormais révolu. Le calypso et la béguine caribéennes se transforment en la compilation Tumbélé! Biguine, Afro & Latin Sounds From The French Caribbean, 1963-74, la salsa devient Palenque Palenque: Champeta Criolla & Afro Roots In Columbia 1975-91,… Les styles se multiplient, le blues ghanéen fait son apparition ainsi que le psychédélisme et la disco nigériens. Mais le travail de fond du label ne s’arrête pas là, puisqu’en retrouvant les artistes originaux, il parvient à les rémunérer, quand il ne les fait pas remonter sur scène. C’est ainsi que les compilations fréquentent désormais les sorties d’albums de groupes. En une dizaine d’année, le catalogue du label a su offrir une centaine de sorties, toujours hautement qualitatives. Et si je peux vous conseiller une porte d’entrée la plus éclectique possible alors penchez-vous sur Afro Tropical Soundz Vol.1 (sorti en 2010) qui fait figure de carte de visite du label.
Mais si j’en viens à vous parler aujourd’hui de Soundway Records, c’est parce que la dernière compilation en date atteint des sommets inattendus. The Sound of Siam volume 2 : Molam & Luk Thung Isan From North-East Thailand 1970-1982 fait suite à un premier essai déroutant. La monture inaugurale s’orientait vers le Leftfield Luk Thung, Jazz & Molam thaïlandais. Bien qu’intrigante, l’ensemble était quelque peu éreintant pour des oreilles néophytes. J’ai donc hésité avant d’écouter le 2ème volet. Mais une intéressante interview paru dans Chronic’art (n°8, Août-Septembre 2014… je suis précis car je vais puiser dans cette itw pour la suite de ma chronique – merci à eux) m’a mis la puce à l’oreille.
Le patchwork présent sur l’album est le fruit du travail de Maft Sai et Chris Menist. Le duo démystifie d’ailleurs immédiatement le digging en racontant ses sessions poussées de recherche, en plein air, au bord de routes polluées, fouinant dans des bacs à vinyles noircis par les pots d’échappement. The Sound of Siam vol.2 met en avant le molam (musique traditionnelle lao) et le luk thung (sorte de musique country), en se focalisant sur la période 1970-1982 du nord-est du pays. L’objectif étant de s’écarter du côté » musique de conducteurs de taxis » pour puiser aux racines de ces genres populaires de musiques thaïlandaises.
Et le résultat est bluffant ! Les influences se télescopent sans cesse, rappelant autant le blues africain, que le psychédélisme, la soul mélancolique, la folk, le jazz,… L’acoustique fait aussi une petite place à l’électrique. Les sons évoluent inlassablement mais les 19 titres répondent à un agencement judicieux, laissant l’impression d’écouter autant de morceaux que de styles différents, avec constamment en toile de fond la langue thaï et une focalisation sur les racines rurales du molam et du luk thung. Et comme toujours avec Soundway Records, » l’aspect « musique exotique » s’efface pour mieux rendre compte d’un contexte particulier » : l’extrême précarisation des musiciens, l’impact politique (démocratie et dictature font toujours bon ménage dans ce pays), la cécité gouvernementale,… L’écoute se fait avec respect.
Vous avez donc compris à quel point cette chronique est une sincère déclaration d’amour à toute l’entreprise du label Soundway Records. The Sound of Siam vol.2 confirme l’exemplarité des sorties de cette modeste écurie londonienne. Si vous voulez découvrir un autre aspect de la world music, loin de tous les stéréotypes, vous n’avez plus qu’à foncer tête baissée.