Les vrais le savent. En son épopée glorieuse, le webzine français SWQW fut le premier à chanter les louanges du suédois Varg. Aussi de ses cheveux gras et de sa dégaine casual de buveur de bavaria.
Converti à la techno par hasard non sans en avoir révisé les principes fondamentaux, Jonas Rönnberg signait en 2013 un Misantropen (ici) qui allait mettre les diggers du monte entier au garde à vous. Tant par sa dimension ovniesque que par les hommages à Detroit qu’il distribuait avec tendresse comme un maigrichon de Judée multipliait les pains.
Depuis, le nounours gothique s’est tout autorisé. Il s’est acoquiné avec la clique bruitiste de Posh Isolation et rapproché du grand blond avec un t-shirt blanc (Abdulla Rashim) pour trouver chez Northern Electronics une canopée ombragée où il héberge sans contraintes ses sombres délires. Au sein du projet Född Död (avec sa copine Sofia Al Rammal Sturdza), il a même créé un courant de vaporwave viking tandis que son avatar D.Å.R.F.D.H.S. (avec Isorinne) lui permet de pousser à fond ses expérimentations analogiques païennes.
En clair, le suédois sait choisir ses amis et avec eux survole l’underground DIY électronique. Encore une fois les diggers suivent. Sur discogs, ils s’arrachent ses galettes et cassettes soldout à des prix parfois dix fois supérieurs à leurs valeurs initiales. Varg est assis sur un trône, érigé à mains nues mais fragiles, par des hipstogeeks postwebards qui se la frottent sur des bécanes analogiques surannées.
Mais même auprès de son indé et boulonnable fanbase, Varg finit par agacer. Ses lives, dotés d’intrinsèques qualités discutables n’aident pas. Tout comme ses séances d’egotrip bling-bling postées sur Instagram, ses inconditionnelles déclarations d’amour à PNL et ses tirades où il dénigre allégrement la caste qui l’a nommé roi. Varg se fout de tout, encore plus du respect sous lequel on le noie. Comble de l’horreur, le suédois a récemment annoncé qu’il comptait abandonné le kick et le tout analo. Il pleut des balles à la météo…
Troisième volet de sa Nordic Flora Serie, Gore-Tex est essentiellement composé avec des applis pour Iphone et Ipad, et à ce qu’il paraît, s’ouvre à l’incarnation du Sheitan dans la musique moderne : l’autotune.
Bien qu’il déclare s’éloigner de plus en plus des simplistes rivages de la techno, le suédois conserve une puissance créatrice intacte pour ce qui est d’allier d’originaux éléments de batterie (plus particulièrement les snares et les hi-hat) à ses spacey pads frelatés. Cet opus, même s’il contient d’incontestables tueries, n’est certes effectivement pas le plus construit pour le dancefloor dans sa discographie.
Si c’est de ses propres mots son travail le plus honnête, je le considérerais pour ma part comme de très loin le plus émancipé des cadres et à fortiori comme le plus délirant.
Gore-Tex m’évoque une dérive sous mescaline et ayahuasca dans des zones de transit de la psyché. Comme composé entre deux aéroports, où des annonces réveillent chez le voyageur défoncé son véritable point de débarquement. Parfois l’hôtesse de l’air y prend les habits de l’invitation grivoise. A d’autres, la conscience s’évapore encore un peu plus et le trip s’engouffre dans la luxuriance de jungles chamaniques où tout reste à cartographier.
Dans l’odyssée psychotrope, certaines images en mutation mériteraient néanmoins d’être effacées à l’acide. Je parle bien évidemment de ces élans de liberté qui pourraient sonner comme d’énièmes provocations nihilistes. R&B Gothique et cloud rap de l’espace, Blue Line et Red Line II, malgré pourtant de très bons moments purement instrumentaux, m’auront fait pleurer du sang par les cages à miel jusqu’à me vider de toute empathie pour le triste sire.
En d’autres lieus, ses dérives new-age (Euros & Euros & Euros est juste foutrement excellent) m’auraient sans doute fait le même effet. Mais dans une odyssée opiacée comme celle-ci, où l’on lorgne la bave aux lèvres face au romantisme révélé par ce gentil peuple de l’herbe pour nous soustraire à l’oppression urbaine (Snake City) vers laquelle on finira forcément (Stockholm City), tout ça paraît plutôt bien pensé et parfaitement cohérent. Presqu’autant que de croiser le chien de Pavlov au bout de la liasse d’un berger allemand.
Varg s’est affranchi de tout. Certains diront qu’il s’est perdu. Varg se fout d’être playlisté par les chipsters de la Concrete. Il est seul sur sa planète, et nique tout, en gravant Hallå sur sa galette. Jamais aussi près du nectar que de la shitlist, Varg survole le game en business class. En jouant avec de petites ombrelles roses. Parti trop loin dans le futur, il y peu de chances que les puristes de la techno primitive l’y suive…
C’est grave si je pense que le morceau Red Line II avec Yung Lean est le meilleur de l’album ?
« l’incarnation du Sheitan dans la musique moderne : l’autotune. »
Tout est dit.