Trois ans de collaboration auront été nécessaires pour que les deux mines patibulaires parviennent à accoucher sur Cosmo Rythmatic (label de Shapednoise) d’un Peau Froide, Léger Soleil, album qui réalise avant même son écoute la performance de réunir le plus bel intitulé et un des plus beaux artworks de l’année. Pour qui a suivi le travail du français Franck Vigroux, aussi bien sur D’autres Cordes que ses essais plus récents hébergés ailleurs, une collaboration avec Mika Vainio (moitié du légendaire duo Pan Sonic) pouvait augurer d’autant de craintes que d’excitation. Avant tout parce que la plus que probable et profonde influence du deuxième cité sur le premier pouvait dangereusement dépasser les contours d’une pourtant bienvenue complémentarité. Et aussi, parce que même les plus fervents défenseurs des sèches volées de bois vert n’avaient pas envie de se prendre en pleine tronche un énième brassin techno industriel hydrocéphale, même si c’est parfois humain d’être opportuniste et de pisser dans le sens du vent. Loin de toute quête d’objectivité mais définitivement par passion, j’ai pour habitude d’être particulièrement exigent et suspicieux vis à vis de musiciens dont j’adule le travail. J’avais donc accueilli l’annonce de la sortie du présent disque avec prudence et scepticisme.
Comme déjà dit plus haut, la complémentarité entre les deux artistes est telle qu’on ne parvient pas toujours à distinguer qui fait quoi. On peut aussi bien sûr positiver cet état de fait en pointant que les fusions les plus pertinentes sont souvent l’apanage d’univers qui ont déjà, à la base, des choses à se dire et à partager. On peut donc présager sur la faible durée du round d’observation, et sur tout le temps qu’ils ont passé à soigner les coeurs profond du projet : l’ambiance, les textures, la couleur et la qualité intrinsèque du son.
Peau Froide, Léger Soleil est un album difficile à appréhender, réservé aux écoutes attentives et exigeantes. On pourrait vulgairement le décrire comme au service d’une ambiance paranoïaque et oppressante, où les épidermes s’enlacent, s’écorchent, s’embrasent et s’infectent suite à des inversions de polarité. On doit à mon sens l’envisager comme une impressionnante démonstration électronique, d’alliage de textures et de matériaux plus ou moins nobles et complémentaires, pour engendrer de magnifiques harmonies chaotiques.
Ainsi, des titres qu’on aurait pu trouver sur l’excellentissim Kilo, dotés de frappes sporadiques, de rythmiques çinglantes et de cuts chirurgicaux, cohabitent avec des éléments autrement plus focalisés sur l’ambiance, sur un espace sonore que les deux larrons se plaisent parfois à aérer pour mieux le saturer ensuite de hachures, de stries radio-actives et de fréquences létales.
Malgré un tracklist peu évident mais cohérent au niveau de la narration, aucune faute de goût n’est à déplorer (même les vocoders de Le Crâne Tambour sonnent du feu de Dieu). Pour ma part, au milieu de toute cette excellence caractérisée, je soulignerai plus particulièrement deux morceaux où le duo rappelle à tout le monde qu’il ne sont pas manchots équipés de guitares : Parabole et l’immense Souterrain.
Au moins du même niveau que sa plus tout à fait récente collaboration avec Joachim Nordwall, Mika Vainio a trouvé ici en Franck Vigroux un partenariat qu’on espère hors de tout one shot. On se prend même à rêver d’une représentation en live, pour admirer encore comme les Octatracks du français semblent un prolongement naturel de ses membres supérieurs. Un disque addictif et dangereux, dont on recommandera les écoutes à plein volume dépourvues de toute biafine ou autre écran total. Parce qu’il serait regrettable d’y succomber sans cicatrices.