Honte sur moi, je n’ai jamais nulle part évoqué le label Eilean Rec. Dirigé par Mathias Van Eecloo, il fait pourtant partie des rares labels ambient français à s’être installé durablement et confortablement dans le paysage, allant même jusqu’à s’attirer les faveurs du très exigent « lobby cornouaillais ». La mention « épuisé » apparaît d’ailleurs très souvent sur bandcamp peu de temps après l’ouverture des précommandes. L’intelligence du label se situe dans sa capacité à transformer chacune de ses sorties en objet de collection, grâce à une esthétique et une cohérence saisonnière incontestable. Ayant moi même une légère expérience de direction de petit label qui tente de vendre des disques, je suis assez admiratif de la réussite d’une telle « micro-entreprise », d’autant plus qu’elle était tout sauf acquise au départ. Loin de moi l’envie de me convertir au chauvinisme ou à une quelconque préférence nationale, mais pour une première chronique d’un disque issu de la maison Eilean, quoi de mieux qu’une jolie galette de Bretagne ?
Le pari d’Anthony Elfort (aka Toàn) est au fond plus osé que résolument révolutionnaire : composer un album étiqueté « modern classical/ambient » avec des field recordings et des éléments majoritairement empruntés à des oeuvres du passé. Celui pour qui le sampling s’inscrit plus au départ dans la culture du rap ou du beatmaking a d’ailleurs sévi sous l’avatar Qiwu Selftet, projet qui mêlait jazz et rap instrumental. Craquement de vinyles, bruissement du vent, clapotis de l’eau et violonnades transies : à priori rien de neuf sous le soleil des ersatz de l’hantologie lo-fi. Sauf que voilà, Histós Lusis est un très beau disque.
Avant tout parce que le breton ne choisit pas ses samples au hasard, parce que le travail du mix se situe sans doute pour lui dans une obligation de qualité narrative, et surtout parce qu’il a su saisir des instruments entendus bien trop rarement, en plus des pianos et crins longs habituels. Hautbois, harpe et glockenspiel, pour ne citer que ceux-là, même si j’ai moins de certitudes sur l’utilisation du dernier cité.
Le plus bluffant est cette sensation de fonte très fluide des différents échantillons dans le canevas de l’ambiance. Histós Lusis est une ode à la nuit, aux chimères dansant par dessus les couvertures de l’insomnie, un appel à l’errance tannique qu’on embrasse jusqu’à la lie. Collecter seulement ce qu’on souhaite garder du passé pour écrire l’histoire à venir, étirer la nuit pour emmener le rêve encore ailleurs. Simple mais bien joli programme, à convoquer aux heures tardives pour conjurer les frimas de l’âme.
Si Post Tenebras, Plume et Une si délicate tempête sont les titres que je retiens plus particulièrement, l’ensemble du disque est de qualité très supérieure en dépit de quelques longueurs. La qualité du mix de départ y est peut-être pour quelque chose, mais la maison Eilean semble également avoir fait des progrès non négligeables en matière de mastering.
Histós Lusis est donc une bien jolie galette, une muse de nuit avec laquelle on scrute l’arrivée des rosées inquiètes.