Courant Août, Hidden Hundred, nouveau label né de l’union de Tommy Four Seven – bidouilleur anglais exilé à Berlin, auteur de releases sur CLR et Stroboscopic Artefacts – et de James Kronier – ingénieur son dans le studio berlinois One Million Mangos – voyait le jour. L’entité adultérine sitôt éclose s’empressait à son tour de pondre un premier EP nommé Ivy. La track éponyme, Electronica franchement percussive talonnée d’une bassline Léviathan, laissait déjà présager de beaux jours pour notre quatuor de mains dissimulées. Le tout était par ailleurs complété de remixes dont celui notre ami Fernow le possédé, plus connu sous l’alias Vatican Shadow ou Rainforest Black Enslavement, etc., qui sans être parfaitement indispensable apportait ce qu’il faut de rectitude Techno à la structure scoliotique de l’originale.
Derrière ces versets de lierre d’une fraicheur presque romantique, nous n’étions cependant pas dupes des intentions qui animaient et animent nos deux apostats : Faire jaillir salive et sang, craqueler les corps mollement sénescents, en faire ruisseler l’effroi. Supputations qu’a rapidement conforté la publication d’un teaser qui laissait entrevoir une sortie imminente. Et voilà que ce que nous fantasmions dans nos boudoirs poussiéreux s’avère vrai puisqu’à peu près un mois plus tard, sortait le LP éponyme tant attendu de These Hidden Hands.
Côté contenu, l’album s’ouvre sur une intro nerveuse, animale, résolument métallique – Trelesire – et on sent déjà poindre la trame du récit alors que nous n’en sommes qu’à la préface : conter la nécrose de l’ère post industrielle, ceci en imposant à l’oreille ce que l’œil – ce petit hachoir à réalité – se refuse à voir : l’Horreur moderne, ses dépouilles industrielles croupissant par millions, prostrées dans leur silence de béton et d’acier. Et personnellement, cette perspective me sied parfaitement.
Nous retrouvons tout au long de cette narration des tableaux divers, des vanités au luxe désuet dans lesquelles quelques ossements sépia scindent des richesses et autres amulettes oxydées – cf. Ivy ou encore l’excursion beatless et arpégiée Mollusk –. Lorsque l’obscurité tombe, on peut également déchiffrer des danses macabres. Danses que l’on aurait peintes dans des souterrains de velour où satyres et pécheresses anonymes s’abandonnent aux plaisirs de la douleur, où la rencontre du fer et la chair donne naissance aux sanglots pourpres de la jouissance – cf. Diesel –. D’autres représentations, moins charnelles, nous sont plus familières, plus contemporaines. Elles capturent la brutalité du mouvement mécanique, sa mobilité entravée, saccadée et assassine, puisqu’écrou ou crâne sera indifféremment ébavuré – cf. l’averse de mandales, la Techno unijambiste de Severed –. Engoncés dans nos fauteuils côtelés de naphtaline et d’âpreté, nous accusons une profonde nostalgie, la nostalgie d’époques que nous ne connaitrons jamais. Nous soupirons brièvement en croisant, au détour de quelque débarras cérébral fort peu étanche, de vieux clichés des époux Becher – cf. le chef d’œuvre Kheium –, ou peut être sont-ce les bandelettes ternies de Profondo Rosso ou Suspiria… Qu’importe après tout.
Sous l’apparente virulence des sonorités industrielles, l’omniprésence des textures métalliques, des percussions et claviers rocailleux, il semble qu’un propos sous-jacent pèse sur l’ensemble du LP, sorte de désaveu de la toute puissante modernité. Ce LP, un colosse Techno / Indus au mastering irréprochable, semble sectionner ses propres tendons d’Achille à grands renforts d’harmoniques Leftfield, très 90’s, quasi organiques, sans jamais fléchir toutefois. Le meilleur exemple de cela est sans doute la conclusion du LP, Hidden, avec son intro, embruns cristallin progressivement dispersé par des larsens prophétiques. Une putain de cathédrale, un asile de soupirs enfin.
Notons toutefois que cette relative perfection n’est pas exempte de tout reproche. En effet, la progression dans le LP se voit franchement freinée par l’incompréhension que suscite When Told, son vocal émétique et l’ostensible pauvreté mélodique en font une tentative de vocalisation ratée. Dans le même registre, nous pourrions évoquer la tentative de Glitch / Indus / Noise Isopod, hommage à Emptyset ou non, le résultat est le même, ce sont 3min04 de tressaillements insipides et de compression superflue.
Malgré ces faux pas mineurs, These Hidden Hands – LP témoigne de la puissance créatrice de nos chers renégats. Quitte à sombrer dans l’hérésie, hurler le refus de l’autorité Techno à la régularité surannée, quitte à réfuter l’orthodoxie 4×4, eux préfèrent le faire à l’abri des regards inquisiteurs, tapis dans l’ombre, quelque part entre la fosse et les catacombes et regarder danser les rats sous l’impulsion de leurs phalanges argentées.