Annoncé depuis des mois, la presse du nouveau projet du britannique Richard Skelton, The Inward Circles, semblait touchée par une inexplicable malédiction. Finalement sold out à peine quelques jours après sa sortie tant attendue, Nimrod is Lost in Orion and Osyris in the Doggestarre est sans surprises un nouveau chef d’oeuvre à ajouter au crédit du musicien désormais installé en Irlande. Si Landings est sans nul doute son oeuvre la plus renommée, tous ces disques sont des indispensables (ormis peut-être ceux réalisés sous *AR, en compagnie de sa compagne Autumn Richardson), des ôdes à la nature, à ce qu’elle donne à voir mais aussi à ce qu’elle cache, souvent reliés à la littérature, la poésie et la photographie. Ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur le bonhomme, sur la genèse de son art, le land/soundscaping ou sur le lien qui l’unit aux paysages de la Grande Bretagne, sont invités à (re)lire le focus que notre très chère Aurélie S. lui avait consacré il y a deux ans (ici).
Si les cordes du britannique (guitares, violons et violoncelles principalement) se sont toujours particulièrement épanouies dans de subtiles intrications, elles ne faisaient pourtant pas mystère de ce matériau brute qui leur attribuait tel grain et telle résonance : le bois. Pour ce qui est de Nimrod is Lost in Orion and Osyris in the Doggestarre, elles semblent autrement plus parées d’effets, dotées d’une volonté d’abstraction plus importante et alliées à un recours assez inédit à l’électronique. Peut-être doit-on ça au fait que, pour la première fois, Richard Skelton ne s’inspire pas de lieux existants mais puise bel et bien sa sève musicale dans un terreau imaginaire.
On parlera donc ici d’artefacts majoritairement sombres, tutoyant aussi bien la voûte céleste que des environnements plus sybilins. Avec cette cohabitation d’humidité et de sécheresse pour ajouter matières et contrastes, ces sensations post-crématoires que pourraient avoir connu les forêts et les landes en des temps belliqueux. Là où seul le vent est maître de la trajectoire des poussières, de ce qui aura vécu et de ce qui survivra. Il y a aussi ce sentiment d’ombre, d’une présence. Insidieuse mais pesante, de celle qui recouvre tout pour étouffer les témoins. Peut-être est-il encore question de deuil, de renoncement. The Soul Itself a Rhombus, comme une prière païenne et séculaire, une bouteille jetée à une mer de sables mouvants.
On citera bien sûr également An Art To Make Dust Of All Things, qui dans sa profondeur et sa gravité s’élève comme un condensé de captures instantanées. D’un temps pas encore assez révolu, de bribes et de résidus de sentiments passés au tamis. Les mots manquent particulièrement pour illustrer Two Opposed Leaves at The Root, surprenant « peak time » du disque où un dévastateur et répétitif mécanisme industriel pourrait être confondu en un poumon à l’agonie, cherchant un second souffle dans les entrailles de la terre pour prétendre à d’autre cieux. Quant à la conclusion, From Animals Are Drawn Burning Lights…
Si les arbres pouvaient parler, et bien parions qu’ils la fermeraient peut-être quand même. Laissant se dérouler cette troublante procession où l’on jette au sol ses bouquets de sombres pensées et de crises en thèmes.