Kevin Martin (The Bug, Techno Animal, King Midas Sound…) et Dylan Carlson, le leader de Earth, se sont rencontrés par l’entremise d’un ami en commun : l’artiste visuel Simon Fowler (qui a réalisé des artworks pour des gens aussi recommandables que Lustmord, Year Of No Light, Wreckmeister Harmonies ou divers projets de Stephen O’Malley). La complémentarité des deux univers peut ne pas paraître évidente même si leur réciproque intérêt pour la lourditude des choses en général a dû peser dans la balance. Si le guitariste de Earth est bien connu pour déconstruire les poncifs du metal jusqu’à flirter vers l’ambient, sa musique se doit malgré tout d’être envisagée comme un hymne aux grands espaces et à la contemplation. The Bug est lui plus connu pour ses ambiances radicales, enfumées et claustrophobiques. On ne pourra donc pas reprocher à ces artistes et au légendaire label Ninja Tune une quelconque forme d’opprtunisme, car même si ils ont tous connu quelques errements, ils n’ont pas besoin de ça pour vendre des disques. Un EP voit le jour plus ou moins confidentiellement en 2014 : Boa / Cold. Ce coup d’essai fut intéressant, sans plus, et apparaissait surtout limité de par la taille légère du format. L’intérêt d’une telle collaboration augmente forcément quand on l’envisage dans la confrontation des très différentes représentations du rêve américain par les deux protagonistes. Voilà qui tombe bien, parce que même si il n’est pas clairement posé comme ça, c’est un peu le concept de Concrete Desert.
Concrete Desert se doit à mon avis d’être appréhendé comme une odyssée qui trouverait son point de départ en Californie et s’arrêterait dans le désert d’Arizona, plus ou moins loin de Vegas. Un road trip planant mais torturé, où se toisent, s’agglomèrent et s’affrontent deux réalités bien différentes des deux côtés de la route (toute référence à Cormac McCarty est tout sauf fortuite). Celle du sentiment de liberté et d’horizon permanent, où un soleil rose et des vents arides organisent l’incessant ballet des virevoltants. Avec et contre l’autre, celle plus anxiogène, plus replié sur elle-même, plus urbaine et surtout plus pessimiste. Entre le rêve et le cauchemar s’organise donc quelques chose de résolument dystopique. où la chimère s’injecte dans les apparats de la réalité.
Les premiers titres réservent peu de surprise. Les incontestables talents de guitariste de Dylan Carlson restent inchangés. Il sait parfaitement sélectionner ses accords, les égrainer dans la lenteur tout en leur alliant puissance et hypnose. On regrettera que The Bug n’infectent les lignes que trop timidement sur Gasoline, et ne lâchent que partiellement les chevaux sur le pourtant très bon Snakes vs. Rats. La sensation que Carlson s’est beaucoup plus investi dans le projet que Martin a quelque chose de frustrant, et c’est un sentiment qui inonde sérieusement l’écoute globale. On s’en remet donc aux fulgurances, qui heureusement, en tous cas pour certaines, justifient à elles seules l’achat du disque. Même si mes goûts personnels auraient préféré que certaines parties d’entre elles voient le stoner prendre l’ascendant sur le côté planant.
Les 40 minutes que constituent les titres City of Fallen Angels, Snakes vs. Rats, American Dream, Don’t Walk These Streets et Concrete Desert auraient suffi pour accoucher d’un grand disque. Concrete Desert est donc un disque trop long, où les ajouts des titres avec JK Flesh n’apportent pas grand chose et où The Bug se contentent trop souvent d’enchevêtrer dans les cordes ce qu’il sait très bien concocter : des infrabasses abyssales alliées à un beatwork primitivement neuro-toxique.
Même si il n’est jamais désagréable et participe à stimuler l’abstraction, l’album du jour aurait mérité d’être divisé de moitié et n’atteint que trop rarement les chevilles d’un groupe qui a érigé les ambivalences américaines en art de vivre : Barn Owl. Mais étrangement, je vois l’intérêt de Concrete Desert ailleurs, et pourrais lui promettre un potentiel de disque passerelle (au sens de transcender les genres et de réunir autour de lui des auditeurs pas ou peu complémentaires). Outre ces spéculations, Ninja Tune apparaît aujourd’hui comme doté d’un souffle nouveau. Leurs voisins de chez Warp, qui se contentent aujourd’hui du conventionnel et de vivre sur leurs anciennes et glorieuses vaches sacrées, feraient bien de très vite s’en inspirer.
c’est marrant j’ai eu la sensation inverse, Carlson a passé plus de temps à percher sur le canapé du studio d’enregistrement qu’à trouver de ligne de gratte.
En même temps Carlson n’est pas connu pour être un riffeur patenté. Quand tu reviens sur la disco d’Earth, la richesse du projet se situe plus dans l’hypnose plombante d’accords simpl(ist)es que dans la luxuriance de compo.