Pour les indie boys rompus à la dictature pitchforkienne, l’histoire du guitariste australien Peter Milton Walsh s’apparente à un éloge d’une certaine forme d’échec. Leader de The Apartments, groupe fondé en 1978, splitant à peine un an plus tard, maintes fois reformé à coup de casting à géométrie variable, les projets du musicien et génial songwriter ne sont jamais parvenus à obtenir la reconnaissance qu’ils méritaient. Si on occulte plus ou moins volontairement une somme importante de galères mémorables, cet état de fait a quelque chose de résolument inexplicable, surtout en comparaison des succès fulgurants de formations indigentes officiant dans les même sphères. Après dix-huit ans d’absence, l’album du jour ne doit sa naissance qu’à la volonté déterminante du label français Microcultures et des fans qui ont accepté d’y foutre des thunes. Certains se souviendront peut-être que la France réunit un certain nombre de fans du groupe pas si discrets, puisque les bordelais de chez Talitres avaient déjà ré-édité Drift (sans grand doute leur meilleur album) de 93 en 2011. No Song, No Spell, No Madrigal est sorti au début du mois dernier, le titre « teaser » et l’artwork labellisé « beau gosse » avaient déjà donné le (très haut) ton de l’ensemble à venir. Il est désormais temps d’en causer.
Si ton régime hyperprotéinohoublonné façon Damien Saez n’a pas encore complètement anéanti ton sex-appeal de vieux trentenaire aigri, et si tu souhaites détourner de la mineure vierge (de tout Primavera catalan) hors des tortueux et stratégiques sentiers de Tinder, saisis ta chance dès maintenant, tu peux encore citer les fleurs fanées du regret de l’album en présence dans le texte, ton regard blême de gentil cocker et tes traits rongés par les déceptions successives feront le reste.
La voix de Walsh, à la fois magnifique et profondément irritante, est devenue presque obsédante. Bien aidée par des arrangements et une production d’esthètes, elle lui confère aujourd’hui une aura de dandy « vieux beau » indestructible. L’australien sait très bien écrire des chansons « immédiates », mais prend les standards à contre-pied en transformant sa pop pleine de spleen et très bien orchestrée en une musique qui pousse à des écoutes particulièrement attentives. Chaque instrument, piano, trompette ou cordes, n’est jamais là juste simplement pour faire joli, et s’inscrit dans chaque titre comme une somme de détails inspirés, représentant presque la topographie d’une certaine intimité pudique.
On se délectera plus particulièrement donc et sans la moindre entrave de superbes chansons comme Twenty One, évoquant la perte d’un fils et d’une promesse de voyage à New-York qui ne prendra donc pas corps, The House That We Once Lived In, où l’australien semble distribuer les caresses et les pas-chassés sur une bassline à s’en damner. Citons aussi forcément le titre qui donne son nom à l’album et celui qui le ferme (Swap Places), puisqu’ils sont les exemples parfaits de pop songs adultes pleines de nuances, de celles qui confirment l’immense talent injustement méconnu de son auteur.
N’étant pas un popeux dans l’âme et utilisant cet album, tu l’auras compris, qu’à des fins opportunistes, j’avouerai sans mal avoir zappé dès son entame un titre détestable comme September Skies. De même pour Please, Don’t Say Remember, son refrain et ses choeurs qui m’ont donné envie de sacrifier des petits rongeurs dans des sacs remplis d’éther jusqu’à la garde. Je me mets à apprécier certains canevas pop mais ma bonhomie a ses limites.
No Song, No Spell, No Madrigal est en tous cas un album brillant, de la part d’un artiste qui a inscrit déceptions et fêlures dans la morsure du souvenir, non pas dans celle (plus facile) du pathos mais dans ce qui reste à venir. Un excellent disque de pop mélancolique qui mériterait de fédérer bien des générations. Les Inrocks n’en parleront donc pas, il est tellement vrai que Rone, Marine Le Pen, Daesh et Booba sont tellement plus essentiels à ton information.