Le hollandais Tijs Ham ne s’est jamais réfugié derrière le fait que bon nombre d’observateurs de la scène indépendante voit en lui une référence IDM moderne. Si son Seven (Raumklang, 2011) n’avait pas bénéficié d’une sortie physique, il s’était néanmoins rapproché très près de l’excellence de son tout meilleur album : Fallen Clouds (Tympanik, 2009). Tapage a depuis créé sa propre (micro) structure, simplement baptisée Tapeface. Les textures et ambiances aquatiques associées à des fractures rythmiques ciselées étaient presque devenues sa marque de fabrique. Moins maîtrisé que ses prédécesseurs mais néanmoins d’excellente facture, Overgrown (Tympanik, 2012) trouvait l’apogée d’un concept forcément amené à se renouveler.
D’où, probablement, le souhait de s’émanciper des codes au sein de Tapeface et prétendre à une certaine liberté artistique et à des formats plus courts (trop ?) plus propices aux expérimentations. Seulement voilà, on a suivi l’affaire sans jamais retrouvé l’excellence des premiers travaux. Des titres très bien construits ont tout de même vu le jour dans la plus grande confidentialité, d’autres, très joyeux et aussi givrés qu’enlevés, étaient dignes de la bande originale de Happy Feet. Son attrait pour SuperCollider et pour la geekerie en général contrastait réellement avec ses envies avouées de territoires plus organiques où les cordes trouveraient une place. On ne savait plus trop quoi (quand, comment et où) attendre de neuf et de réellement abouti venant de lui, encore plus à l’heure où la maison Tympanik se cherche un nouveau souffle dans des sillons plus apaisés. Et là, sans faire de bruit, Ad Noiseam a ramassé la mise. Sorti il y a quelques semaines, Eight a déjà le mérite de faire causer.
Construit similairement à Seven (sept titres durant sept minutes) mais célébrant cette fois le chiffre 8 à 80 BPM, ce nouvel album révèle une évolution artistique pour le moins surprenante et singulière. A l’heure où il est convenu dans une scène mourante de se branler sur des pauvres montages de cordes labellisés Audacity (t’as vu comment je dénonce ?), Tapage opte pour le contrepied. Courageux, mais risqué, à une époque où le musicien plus ou moins quidam songe surtout à rassurer sa fanbase.
Eight est un album pour « chiller », de préférence en début ou fin de journée et au soleil, en dégustant des cocktails colorés munis de petites ombrelles. Les rythmiques sont simples mais efficaces, s’approchant du rap instrumental. L’apport de la jolie voix féminine (Pinar Temiz) pourrait rapprocher ça un peu du trip-hop, mais ce n’est sans doute pas assez mélancolique pour pouvoir franchir ce pas. Les cordes (guitares et ukulélé majoritairement) sont extrêmement bien traitées, la production est aussi limpide que soignée, il existe ce brillant et rare contraste dans la dominante organique aux reflets un peu plastiques. Les idées sont nombreuses et denses, les harmonies tiennent sévèrement la route. En clair, y a moyen de se faire un bon petit voyage sonore et luxuriant de 64 minutes. Si par ailleurs, tu trouves toi aussi que le premier titre a un petit quelque chose du Hotel California de Eagles , tu es invité(e) à te faire connaître.
Par ailleurs, l’intégration des voix a parfois tendance à rapprocher certains titres (très peu) du genre « lounge » qui sévit à la fin des années 90 (le morceau 5 surtout, malgré sa ligen de basse de fou). Rien de désagréable soyons clair, c’est juste un peu trop chatoyant. Autre maigre reproche, le hollandais est de manière sporadique victime de son concept et de sa contrainte. Je m’explique. 64 minutes c’est long; et à force de vouloir étirer les tracks jusqu’à la durée imposée, il a parfois tendance à tricoter et à s’enliser dans des schémas évoluant vers le farfelu (la septième partie plus particulièrement). Bref, rien de très grave et qui ne devrait pas empêcher la majorité de savourer la surprise comme elle le mérite. J’avoue pour ma part avoir une préférence sévère pour la partie 3, avec ces tracés mélodiques de violoncelle qui semble ré-interpréter l’hymne national corse dans une version mineure et balkanique.
Avec une musique autrement plus « écrite » que par le passé, Tapage risque de décontenancer certains de ses fidèles suiveurs. Lui qui est doté d’une perpétuelle envie de se renouveler ne devrait pas s’attarder sur cet éventuel état de fait. Même si on ne sait pas encore trop comment le juger où l’installer dans sa discographie, Eight devrait lui apporter un auditoire différent (qui serait bien inspiré de se procurer aussi ses anciens disques). C’est en tous cas tout le mal qu’on lui souhaite. Coup de chapeau à Ad Noiseam encore une fois, qui dans une époque de crise a le don de sortir les artistes et les auditeurs de leur zone de confort.