Ecouter ce nouvel album de Talvihorros, c’est apprendre à lacérer au scalpel des draps d’une noirceur sans fond, à cribler de lumière les masses grouillantes et informes de la confusion. C’est apprendre agenouillé, à plonger fiévreusement et méthodiquement des doigts ensanglantés dans le ventre d’une vierge obscure porteuse d’un univers en gestation.
Cette année, on aura vu Ben Chatwin (aka Talvihorros) aux côtés d’Ekca Liena pour Swarm With Swarms, mais aussi aux côtés de Damian Valles pour l’immense Monuments And Ruins. Denovali a également choisi de rééditer son Music In Four Movements, initialement sorti chez Hibernate en 2010. Riche année donc, pour celui qui, avec And It Was So, donne aujourd’hui naissance à l’un de ses plus beaux travaux, un an après Descent Into Delta.
Car c’est bien de naissance dont il s’agit ici, de création même, mais pas n’importe laquelle. Sept morceaux, pour les sept jours de la création biblique. Des pistes empruntant leurs références à la Genèse, pour ainsi mieux donner forme à leur propre monde et atteindre une complétude sonore splendide et abrasive. « La terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme ». Let There Be Light, morceau d’introduction long de onze minutes, vient déchirer l’espace et le temps. Et la lumière fût.
Cette lumière, pourtant, reste une lumière âpre et décharnée. Une lumière qui tombe sur ce qui agonise, ce qui s’écroule sous le poids de forces sibyllines. Car sur l’autel de la création s’accroche encore le sang poisseux d’une destruction qui se refuse à coaguler, même lorsque le calme semble revenir sur le morceau final, A Mist Went Up. Des combats latents et souterrains insufflent leurs vapeurs menaçantes dans les poumons de ceux dont les yeux brûlent de trop avoir regardé la noirceur en face. Talvihorros mêle ainsi avec ferveur démolition et éclosion. Il découpe, érige, il met en pièces des univers en implosion, il tord, il compresse, il étrangle et exécute sur un espace sonore qui n’a jamais paru aussi vaste.
Depuis Descent Into Delta, le champ d’opération de Ben Chatwin a vu ses parois repoussées plus loin encore, s’élevant à la manière d’un magma stellaire en fusion, et s’enrichissant d’éléments classiques. Aux guitares électriques étirées et aux drones foudroyants s’ajoutent percussions, violon, alto ou encore violoncelle. Talvihorros a également bien su s’entourer sur cet album, avec notamment les présences de Christoph Berg et d’Oliver Barrett (Petrels). Ces deux derniers se retrouvent ainsi sur Great Sea Monsters, lorsque les circonvolutions de drones, de murmures épiques, de guitares et de percussions belliqueuses se retirent lentement derrière les mélodies de cordes pincées et frottées.
A la manière d’un marionnettiste, Talvihorros semble orchestrer les ficelles électromagnétiques d’un monde en fusion, là où les pantins enrôlés dans une guerre créatrice cherchent désespérément à ouvrir leurs mains aux forces qui les dépassent.