On ne parle forcément que trop peu souvent de Erik. K Skodvin, l’homme derrière le projet Svarte Greiner. Nous avons maintes fois mentionné dans nos lignes qu’il était la tête pensante du sombre Miasmah, mais SWQW est bien trop jeune pour avoir relaté comme il se doit ses exploits passés au sein de Deaf Center, son magnifique album classique (Flare) sorti sous son vrai nom chez Sonic Pieces (label très proche de Miasmah) et ses chef d’oeuvres parus chez Type en 2006 et 2009 (Knive et Kappe). Nous n’avons pu que constater ses éternels talents de guitariste pour le projet B/B/S en compagnie d’Aidan Baker, magnifiés par le batteur/percussionniste génial Andrea Belfi. Bref, après plusieurs années de friche, Svarte Greiner est de retour depuis hier, avec un Black Tie « masterisé » par Nils Frahm sous le bras.
Le format « deux foix 20 minutes », pour remplir les deux faces d’un LP, a actuellement le vent en poupe. On ne compte plus les oeuvres remarquables qui sortent en ce moment sous ce même calibre. Citons donc, pour les esthètes sombres et amers qui lisent nos pages, la collaboration entre Giuseppe Ielasi et Kassel Jaeger chez Mego (Parallel/Grayscale) ou la Conversion plus laineuse et moins anxiogène des Labyrinthis et Church de Jacob Kirkegaard chez Touch, toutes deux sorties il y a à peine quelques semaines. Tout ça pour dire que Black Tie est lui aussi fichu comme ça, et que le label annonce qu’il représente les deux facettes de son auteur : le ying, et le yang.
J’ai eu pour ma part énormément de mal à déterminer quel titre était le plus sombre. Toujours est-il que cette « variation autour du noir » se doit d’être écoutée les volets fermés, à l’heure où le soleil laisse enfin poindre son nez. Le lieu idéal étant une cave de Charleroi, je n’ai pas de doute, lecteur, sur le fait que tu t’adapteras.
Les cordes plombantes de Black Tie ne sont pas de celles auxquelles on se pend. En tous cas pas de celles qu’on utilise pour un appel à l’aide. Trop solides, trop serrées, elles sonnent telle la froideur de la larme dans le glaire forgé.
En métronomie du malin qui s’épanouit dans les interstices, l’intensité des frappes intervient en crescendo. Pour mieux éteindre la blême plainte du cello. A grand coup de boutoir, elles écrasent le cafard (wesh Mano Solo). Après l’épandage de jus de citron sur les plaies ouvertes du corps encore chaud, elles se dressent en arachnides pour mieux envelopper le festin. Bien servi par une résonance naturelle qui semble avoir été captée dans les entrailles du monde, l’auditeur est transporté vers un cloaque où suintent et grouillent spectres qui ne sauraient connaître la paix. Phéromones, et parfums. Dotée de l’écrasante force limpide de la grenouille chère à Süskind, cette longue piste peut créer bien d’autres prédateurs en puissance. Le fond sonore idéal pour avec haine, aller découper des hymens dans les Ardennes. Avec mépris, lapider du gamin à Montigny. Faire enfin du frigo de l’épouse Courjault le plus beau des berceaux.
Bien loin de cette représentation très personnelle, cette longue piste, cryptique mais très propre, se rapproche un peu plus des travaux réalisés pour Deaf Center que de l’anarchie noble et sauvage chère aux suiveurs du projet Svarte Greiner.
White Noise n’est pas un louange au bruit blanc. C’est un désert, de tartares et de sables mouvants. De synthétiseurs taillés pour calmer du subwoofer, de larsens « shoegaze groggystyle » arabisants. Un semblant de maracas semble sonner la charge d’un serpent à sonnette au pays de la soif. Le magma se forme alors pour transmettre son lot de mirages. Il marque une pose, puis reprend, asséchant tout sur son passage. Jusqu’à la dernière pulsation de courage. Le sang monte aux tempes, l’errant livre alors seul son dernier combat face à la mort. Encore un climat extrêmement réjouissant qu’on écoutera non pas pour bronzer mais pour rôtir. Lentement, à l’étouffée.
Svarte Greiner livre ici un travail très sérieux, mais qui surprendra à n’en pas douter ses suiveurs de la première heure. Pour calmer ma frustration après quatre ans d’attente, j’aurais bien pris double ration. Bien loin d’une simple oeuvre cantonnée aux rangs des installations, il faut probablement l’envisager en trait d’union.