Il est inutile de régler votre écran ou de vous lancer dans une série de F5 compulsifs, oui, L’ombre sur la mesure met en avant aujourd’hui un album joyeux et funky. Que les cryptiques amateurs de dark ambient et de powernoise nihilistes se rassurent, ça ne devrait pas devenir une habitude, la canicule a parfois des conséquences que la raison ignore.
Sorti en 1983 dans une confidentialité dont seuls les indécrottables diggers de l’époque ont su s’extirper, Down To Earth est pour beaucoup un symbole légendaire et emblématique du son des studios de Lagos. L’oeuvre d’un ingénieur/producteur de génie qui a amené la musique nigériane et Fela Kuti vers la multinationale EMI. En d’autres mots, un précurseur du genre afrobeat et de l’empreinte africaine sur bon nombre de productions funk à venir par la suite.
Spécialiste des ré-éditions roots africaines, le label britannique Soundway sortait la galette limitée à 1000 exemplaires il y a à peine une semaine. Boomkat et les autres gros shops en ligne sont sur le coup, tu devines la suite.
Down to Earth est un album fou et bariolé, une compilation de productions hétérogènes à la limite de la cohérence. Un de ces albums conçus par des individus qui ont un jour vu dieu dans le désert, et qui ont couché leur révélation sur bandes et partitions. Certains pourront penser à certains travaux de Lee Scratch’ Perry (dans sa volonté de maintenir l’héritage africain au sein d’un reggae mystique et enfumé) ou à l’album de taré qu’est Afreaka! de Demon Fuzz (monument du funk des 70’s également ré-édité l’année dernière).
Enregistré à l’aide de musiciens triés sur le volet, Down To Earth est une pure démonstration. Puisant aussi bien dans les prémices du rap zoulou que dans le funk pur et les synthés sucrés à souhait, le premier titre, le panafricain Identify With Your Root, est un monument absolu, autant dans son potentiel hédoniste que dans sa revendication unitaire et politique. On comprend mieux pourquoi Gainsbourg en aura saisi quelques bribes pour réaliser son très surestimé tube de l’été 77 : Sea, Sex and Sun.
Anogo / Giri renoue lui avec des rythmiques sensiblement plus africaines et syncopées, aidé par des cuivres inspirés et ce genre de ligne de basse éclatée irrésistible et si atypique des sons africains de l’époque. Viendra ensuite Ikebe, qui est pour moi la pierre angulaire du disque et un véritable chef d’oeuvre de funk, avec une cavalcade de clavier à s’en damner, des guitares de l’impossible et une section rythmique au diapason. Attention, ceci relève de la jam d’exception. Love Care, bien qu’aussi très efficace et invitant à la danse endiablée, ne pourrait que souffrir de la comparaison avec ce joyau.
Le disque contient aussi deux ou trois titres à l’héritage plus « traditionnel » mais tout aussi bien produits. Tous cousus de ces sonorités chatoyantes, qui flirtent allégrement avec une kitscherie pure qu’il n’est pas forcément nécessaire de remettre dans un contexte d’époque pour réellement l’apprécier et bouger son boule jusqu’à la sciatique.
Les érudits de ce genre de musique pourront constater que le disque est régulièrement touché par l’arrivée des sonorités digitales et des boites à rythmes (qui l’acoquine parfois non loin du disco), et jouit d’un travail de studio qui l’éloigne des prods sur quatre pistes plus anciennes et plus roots.
Down To Earth se doit d’être pour eux un document à posséder absolument. Les autres, en feront un compagnon pour s’improviser néo-sapeur, se laisser pousser la touffe, enfiler lunettes de soleil improbables et chemises bariolées. Juste pour s’enjailler et prolonger l’été.