En 2016, le munichois Skee Mask déboulait sur Ilian Tape comme le rookie que nul n’avait senti venir. Son premier album, Shred, versatile, extrêment bien produit et pétri de promesses folles, témoignait d’une culture à la hauteur de sa rigueur. On apprit un peu plus tard que le jeune homme en question était un certain Bryan Müller, qui avait sévi chez un des monuments de la subtilité putassière électronique mondiale de 2011 à aujourd’hui encore : Boysnoize Records. Comme quoi, tous les grands écarts qualitatifs sont possibles. On n’en sait guère plus au sujet de ce garçon qui déclare toujours vivre chez sa mère, aimer le rythme et fumer des gros joints. Toujours est-il que son deuxième opus sous son avatar Skee Mask est paru au mois de mai, et que c’est un monument de maîtrise qui devrait faire date.
Depuis quelques années déjà pullulent les tentatives de revivalisme, qui connaissent à peu près toutes la même infortune. Elles émanent pour la plupart de jeunes gens qui n’ont pas connu les années 90 mais qui tiennent malgré tout absolument à leur rendre hommage. A contre courant de tous ces fragiles empreints de nostalgie, l’allemand tend plus à retranscrire un état d’esprit. Celui d’une époque où tout était encore permis. Quand le breakbeat était roi, où un narquois et désinvolte dodelinement de la tête valait bien plus que l’enlisement dans un concept. Soyons brefs, objectifs et pragmatiques. Si Compro était sorti au beau milieu des années 90 sur Warp, il serait entré directement dans la légende de l’indispensabilité éternelle. Parce que même si la comparaison peut sembler convenue et tape à l’oeil, le gamin de Munich rappelle le meilleur d’un certain Aphex Twin. Avec moins de folie geek, mais avec autant de maîtrise et de polyvalence, si ce n’est plus. Alors oui, la noble aigreur inviterait à penser que cette galette sort aujourd’hui vignt ans trop tard. Mais on peut aussi la considérer comme la plus belle synthèse de tout un pan de culture des musiques électroniques, ceci depuis plus de vingt ans, tout en se payant le luxe de ne sonner comme rien de connu. Je dirais donc pour ma part que ce disque a sa destinée entre les mains, et que même si il sera salué en fin d’années par toutes les rédactions qui se respectent, les louanges qui vont l’accompagner mériteraient d’être traînées sur toute une décennie.
Même si je n’ai jamais réellement été un militant du « c’était mieux avant », je reconnais avoir souvent été dubitatif face au devenir d’un genre musical que j’ai quand même pas mal rossé, et dont je n’attendais au fond plus de réelles surprises puisque je pensais que tout avait déjà été fait. C’est sans doute une dérive snobinarde de vieux con qui pose un regard arrogant sur une casquette parce qu’il n’a plus de cheveux à planquer dessous. Je tombe donc à chaque fois un peu plus haut de ma chaise quand je pose les esgourdes sur ce disque. Parce que comme le diable, le génie se situe souvent dans les interstices et de minces détails.
Quand lancer un kick, placer un pad capitonné pour amortir le rebond coquin d’une snare, ne pas sombrer dans le tricotage intempestif et le side chaining compulsif quand on se présente en rythmic lover, savoir mixer un disque même depuis sa chambre et avoir l’honnêteté de confier le master a quelqu’un qui sait (vraiment) le faire.
Déjà, quand tu acceptes tout ça, tu évites l’écueil que se sont pris dans les ratiches tous les apôtres de la nerdification amateuriste de l’IDM post-Warp qui jouent les princes sur soundcloud et bandcamp depuis déjà bien trop longtemps.
Voilà, ça c’était pour le côté production. Mais même si c’est un point crucial, ça suffit rarement pour accoucher d’un grand disque. Parce que le vrai tour de force de Skee Mask est d’avoir suriné tous les sous-genres qu’il affectionne (IDM, electronica, ambient, techno, drum & bass…) pendant plus d’une heure sans donner à son disque des allures de démonstrative compilation.
Au lieu de ça, il nous invite à partager un voyage encapuchonné au dessus des villes, où on lévite entre les tours qui « headbangent » quand on leur souffle des bulles de savon contre la verrerie. Des rythmiques qui assassinent la nuque, des mélodies intrépides qui rassurent l’oisiveté. Juste de quoi acidifier l’amère asphalte de nos cités.
Compro est un disque relevant de l’excellence. De celle qui peut prétendre à la légende. Saluez comme il se doit ce jeune et humble nouveau roi couronné d’une casquette. Que son règne soit long et prospère.
Merci, une des meilleures écoutes de l’été, excellent… j’avais plus ou moins noté d’écouter son premier album puis j’ai oublié, ce je pense faire à court terme du coup.
Wouah, merci beaucoup, pour la découverte!