« Seul l’arbre qui a subi les assauts du vent est vraiment vigoureux, car c’est dans cette lutte que ses racines, mises à l’épreuve, se fortifient. » (Sénèque)
Dès les premières bourrasques de la piste d’ouverture, magistrale, le souffle qui balaye la surface de What Wind Whispered to the Trees nous empoigne et ne lâchera pas son emprise pendant 40 minutes. D’un bout à l’autre, emportés par ce courant et étreints par le violon, l’écoute se révèlera captivante. On contemple alors les étendues désolées que le vent rince violemment et on tente de saisir les branches qui lacèrent notre enveloppe, telles les cordes de l’instrument, afin de garder pied à terre.
What Wind Whispered to the Trees est le second long format de Siavash Amini à paraître sur un label non-iranien. Il fait suite à Till Human Voices Wake Us, publié chez Umor Rex au début de l’année, et à ses récentes contributions aux compilations SEQUENCE#, du label et magazine Futuresequence de Michael Waring qui l’héberge aujourd’hui. Un rapide coup d’œil à la page bandcamp du label suffira d’ailleurs pour se trouver en terre familière, où l’on reconnaît bon nombre d’artistes de la scène drone / modern classical, confirmés ou faisant au contraire leurs premières armes. Et au regard des sensations suscitées dès la première écoute de l’album, on ne devinerait pas que le jeune musicien tombe dans cette dernière catégorie.
C’est un savant jeu d’équilibre entre la force du vent et la fragilité du violon qui est à l’œuvre sur son album. Au sein de cette masse brumeuse et véloce, les plaintes de l’instrument nous parviennent progressivement, refusant de ployer sous l’intensité du flux et tâchant de conserver leur consistance, telles les bribes d’une conversation distante qui seraient portées à nos oreilles. Un travail à couper le souffle, qui n’est pas sans rappeler certains sommets de la discographie de Jasper TX ou même les lamentations du violoniste virtuose Christoph Berg.
Mais c’est un souffle dont l’intensité est atténuée au fil des morceaux, pour laisser respirer davantage les compositions instrumentales et autres sources sonores. Au trio de violons joués par Nima Aghiani, et de plus en plus présents, s’ajoutent notamment un violoncelle (le superbe Aliosha and the Fire) et quelques voix perçant le brouillard (Maria Timofeyevna Part. 1 & 2), habitant ainsi ces tourbillons solitaires. Car après avoir puisé son inspiration dans l’œuvre de T.S. Eliot pour ses précédents travaux (le même T.S. Eliot qui inspira le colossal Wilderness of Mirrors de Lawrence English – lequel se charge ici du mastering de l’album), ces précédents titres renvoient aux personnages des romans de Dostoïevski (Les frères Karamazov et Les Possédés, précisément), dont l’iranien a souhaité retranscrire l’ambiance.
Une atmosphère sombre, sous laquelle seuls les arbres peuplant ces plaines abandonnées peuvent encore témoigner des événements passés. What Wind Whispered to the Trees résonne ainsi comme un vent de mélancolie façonnant ces bois. Et surtout comme un très beau disque.