Samuel Savenberg est un producteur suisse dont on ne sait que peu de choses. Après une participation discrète à plusieurs groupes notamment via ses travaux graphiques, Savenberg sort son premier album, un mini LP nommé The Administration Of Fear sous le moniker S S S S. Et c’est le jeune et ténébreux label milanais Haunter Records qui accueille ses travaux. Haunter Records, pour ceux d’entre vous qui ne seraient pas encore tombés sur une sortie du label, est un label pluridisciplinaire dont le catalogue fouille les tréfonds de l’expérimentation et accessoirement « la musique électronique craquelée, le bruit irrégulier et la musique dansante post-structuraliste ». Les sorties du label sont majoritairement affinitaires des mouvances Industrial, Noise, Dark Ambient et Power Electronics – à boire et à manger effectivement.
Dans ce catalogue hier encore étrenné, nous avions été particulièrement intéressés par la première sortie du label, une compilation tout feu tout crame au lineup de marksmen – OOBE, Morkebla, etc. -, mais aussi par l’hymne à l’ultra violence de Cage Suburbia sur son Argument #01. Bref, tout cela flairait bon les hydrocarbures et les friches industrielles abandonnées. Inutile de vous dire qu’on attendait le prochain opus de pied ferme, tremblants mais célestes sous les croisées d’ogive du dôme de Milan. Et bien, croyez-nous, le moins que l’on puisse dire, c’est que notre attente n’a pas été vaine.
L’ensemble du mini LP suit un cheminement mécanique extrêmement cohérent. Les premières écoutes de l’œuvre du jeune Samuel donnent l’étrange impression de progresser dans un marais de cambouis, d’assister à un requiem machiniste où le râle de carcasses métalliques viendrait lentement s’élever et s’éteindre dans l’indifférence d’une nuit d’encre, le tout dans un vacarme à huis clos, ceint par l’obscurité tangible. Ode à la déliquescence oxydée mais aussi à la puissance mécanique, les arrangements synthétiques mis en mouvement par Savenberg se caractérisent généralement par une brève introduction bruitiste, un rien absconse, sur laquelle il bâtira par la suite des colosses d’acier, pièces Noise \ Industrial \ Techno montées sur rotors et pistons d’une implacable vélocité – cf. Are You Lost par exemple.
Autre signe distinctif des compositions de Savenberg, son goût pour le fracture sonore. Contrant l’ennui de revers bien ajustés, l’allemand pousse le vice jusqu’au raffinement pour arriver à ses fins – à savoir terroriser l’auditeur, ne jamais lui offrir le confort de la linéarité, ne lui accorder aucun répit. Le raffinement dans l’art de générer l’incertitude, la peur noire, réside ici dans la capacité somme toute assez ahurissante du producteur à briser la linéarité de ses compositions grâce à l’introduction de synthétiseurs – principal matériau de composition de l’album. Plus précisément, en jouant sur l’intrusion de nappes Darkwave, courbes et sinusoïdes, superpositions de drapés de pénombre dont l’apport mélodique témoigne d’une rare ingéniosité – cf. Hegemonie Negative, leçon de transformisme, hybride d’une classe folle. Saluons le don de Savenberg pour la narration non linéaire, pour sa faculté à modeler les éructations du métal hurlant, à les coupler à d’improbables patterns Darkwave lors de peak times aux allures de Pandémonium flingué, au bord de l’implosion.
Outre les moments de pure jouissance évoqués ci-dessus, notons également le fin travail de production, de texturisation et de spatialisation de l’ensemble des tracks ; maitrise technique sans laquelle l’appréhension de l’entière complexité du LP ne serait pas envisageable. Cette même maitrise des techniques de production se retrouve partout, au détour des fourneaus, presses lourdes et tapis mécaniques qui emplissent l’espace sonore de leurs complaintes asphyxiantes. Elle permet à Savenberg de faire naitre, insidieusement mais surement, l’effroi chez l’auditeur, d’instiller la peur dans chaque recoin de cette fonderie dévastée, dans chaque recoin de nos boîtes crâniennes brusquement frappées de vacuité – cf. Administration Of Fear, chef d’œuvre du LP ou encore le Drone hitchcockien de Circles.
L’extrême habileté des productions de Savenberg, et ce dès sa première sortie, son amour déclaré pour les sonorités Industrielles et Noisy et l’unicité des productions en présence nous rappelle étrangement, dans un style différent cependant, les débuts du parcours fulgurant du très talentueux Samuel Kerridge que nous avions chroniqué ici. Bien qu’il soit trop tôt pour se prononcer, Administration Of Fear, machinerie furieusement anxiogène parsemée de glycines, pourrait bien être le socle d’une discographie hors norme – enfin ça, seul l’avenir le dira. Il n’en reste pas moins que tout cela laisse présager de beaux jours pour S S S S et Haunter Records. Une affaire à surveiller de près donc.