Dans les flux des violons, violoncelles, guitares ou notes de piano, permettre à l’air d’imbiber l’horizon sous la peau, à la mer de laver le territoire du regard. Respirer, espacer. Dès le premier morceau, les cordes pincées – plus présentes sur ce dernier album – épousent le ballottement tranquille d’une embarcation où viennent se réinventer les perspectives.
Parce qu’une vie est surtout faite de contradictions, de pans qu’on ensevelit ou de liens inconscients, ce serait tracer des ponts grossiers que de réduire une œuvre aux éléments biographiques qui nous parviennent. Mais il serait tout aussi absurde de ne pas élargir son regard vers la souche, d’examiner un tant soit peu le substrat d’un album. Le passage, la cicatrice d’une perte, les décors de landes et de rivières avaient en partie donné naissance à Landings, en 2009. Il fallait suppléer au vide. Le dernier disque de Richard Skelton, Verse of Birds, change quant à lui de paysages, en bifurquant vers les côtes irlandaises. Et cela s’en ressent particulièrement à l’écoute de ce double album façonné dans l’écoulement du vent, de la mer, et surtout, dans le renouvellement des saisons et des êtres. Quand ses disques ne sortent pas sur ses propres éditions (Sustain-Release, et maintenant, Corbel Stone Press), ce sont des labels tels que Type ou Preservation qui ont, par le passé, mis en avant la musique de Richard Skelton.
Il y a toujours ce travail fabuleux des cordes. Superposées, chevauchées, sublimées. Celle-ci enrobe l’espace de ses tourbillons dociles et aériens, celle-là disperse la profondeur rassurante de ses notes. Une autre encore, incisive et abrasive, lime la sensibilité jusqu’à l’os, l’émotion jusqu’au sang. Mais dans tout ce tissage itératif, Verse Of Birds se démarque par son souffle.
Dans les flux des violons, violoncelles, guitares ou notes de piano, permettre à l’air d’imbiber l’horizon sous la peau, à la mer de laver le territoire du regard. Respirer, espacer. Dès le premier morceau, les cordes pincées – plus présentes sur ce dernier album – épousent le ballottement tranquille d’une embarcation où viennent se réinventer les perspectives.
Bond that does not break. Ce pour quoi on avance, ce qui soutient nos corps tendus entre ce qui attise et ce qui amenuise. Ce lien qui s’effiloche, sous les frottements des cordes revêches, mais ne cède pas. Alors on tire, on se maintient à portée de vivre, dans le refuge d’un contre-balancement offert par quelques notes de guitare. Point culminant de l’album, Little Knives étourdit par sa construction. L’archet semble s’embraser progressivement, et les cordes se font effervescentes. Leurs timbres contrastés s’enchevêtrent pour donner forme à une matière aqueuse et bouillonnante. Mues par une faim incessante, les lames de ces couteaux sont celles d’une émotion qui s’aiguise, d’un temps indéterminé qui se déguise. Prise de vitesse, la peau devient perméable et se laisse inciser par la densité de l’instant venant mordre la chair restée là ébahie.
Tout au long de ce double album où les pistes se font échos et se répondent, l’électronique vient servir la superposition fluide des strates sonores. Celles-ci étant fendues régulièrement par le crissement d’un violon retors ou par la pulsation d’une note rassurante, à l’image de Domain, morceau d’une quinzaine de minutes qui vient clore l’album. Des fulgurances qui sont autant de reprises d’air quand on risquerait de s’asphyxier dans l’angoisse qui coagule et qu’on entend bourdonner dans le lointain, prête à engloutir.
Dans la discographie de Richard Skelton, Verse of Birds ajuste encore un peu plus la symétrie entre l’expérience humaine et la nature, à travers les remous du temps. Ceci avec plus de sérénité que par le passé. Un lieu où les oiseaux de mer cheminent, déchirant les linceuls des regards trop fixes, pour y déverser lentement leurs versets majestueux. Un album qui comble les béances, en somme, par l’intensité pénétrante de la vie.