Richard Devine est probablement encore aujourd’hui le sound designer le plus demandé à l’échelle mondiale. Si il a surtout sévi sur le très bon label Schematic (où on trouve aussi des réalisations tout à fait pertinentes de Phoenecia ou Otto Von Schirach), c’est un remix de Come to Daddy qui lui a ouvert les portes de Warp en 2001, avant que Lipswitch ne sorte conjointement chez les deux nobles enseignes. Voilà sept ans que l’américain ne nous avait pas offert de nouveau long format. Il a bien sûr entre temps étoffé son monstrueux home studio, créé des patchs, des plug-in, des softwares et pléthore d’applications (une pour Sony) et participé au design sonore de campagnes de pub pour de très très grosses marques. Richard Devine n’a jamais caché l’admiration débordante qu’il vouait à Autechre. On peut même dire qu’encore aujourd’hui, les schémas empruntés par les deux britanniques constituent son socle base. Mais autant sur le plan purement technique que sur les aspects logistiques (réservés certes à une certaine élite et à certaines bourses), l’américain se situe à des années lumières devant les phallanges de stricts suiveurs. SuperCollider, Reaktor, Absynth, MAX/MSP ? Le type maîtrise tellement tout le matos existant, analogique, virtuel ou non, qu’on ne parvient même plus à capter comment il compose ses schémas et modules rythmiques. Les amateurs d’IDM ont longtemps rongé leur frein en 2012, à la recherche de l’album qui maintiendrait la passion. Il est là. Très au dessus des déjà excellents albums de Nebulo ou Frank Riggio (si on accepte de le labelliser tel quel le dernier cité).
Au pays des armes silencieuses pour des guerres sereines, subsistent encore quelques chirurgiens bouchers dépassant le genre strictement humain. Il n’est pas ici seulement question d’algorythmes, de mécanique quantique ou de mutation sonore née dans un inaccessible algèbre informatique. Risp est un paradis pour l’auditeur parce qu’il lui en fout plein la gueule, parce que s’échappe de cet amas de câbles et de résistances nucléaires des textures inhumaines. Qu’il règne ici un équilibre finalement plus totalitaire que réellement chaotique. On aimerait dire qu’il se situe toujours à la limite de la branlette, sur le fil du rasoir du « trop ». Il n’en est rien. La maîtrise ici dévoilée est ahurissante.
Mais Risp est également un enfer pour le chroniqueur pressé. Car il lui demande de désapprendre tout ce qu’il savait, ou ce qu’il pensait savoir sur les mécanismes classiques de compositions spécifiques à ce genre de musique. Putain, je n’ai strictement aucune idée de comment ce type fait ce qu’il fait. On va dire qu’on s’en fout, mais ceci explique aussi sûrement pourquoi on ne trouve aucune chronique sur la toile au sujet de cet album impressionnant.
Car dès les premières minutes de plonked spectral (7’26 quand même), il faudra accepter de ne pas se tenir trop prêt de cet objet musical non identifiable, si on ne veut pas voir ses globules rouges se faire la malle. La rythmique n’est plus qu’anihilation, lutte permanente contre elle même sans perdre son équlibre bicéphale et tyrannique. Oscillation entre décollage et atterissage, gestation violente et rapide d’un organisme viral dans les vertèbres d’une unité centrale en perdition… l’auditeur est ici susceptible de succomber à un conflit interne. Fuir, ou ravaler sa gerbe pourpre disséminée sur le clavier comme un goulus adepte de l’infection volontaire. La sensation de fourmis bioniques se tirant la bourre sous l’épiderme du visage ? Elle est normale, la mutation est en marche, plus rien ne pourra l’arrêter.
On passera rapidement sur le terrifiant tiptop bd808, qui donne certes dans son simple intitulé des indications sur la conception, mais surtout une leçon très technique sur les perspectives qu’offre « l’Ultrabeating » à tous les noobs en errance. Jeune apprenti sens-tu déjà l’arme léthale se refermer sur toi ? Le diable s’est toujours épanoui dans les interstices. Celles de la matrice baillent ici aux corneilles, pour recracher leurs lots de corbeaux mutants en quête d’une proie absente : le résidus mélodique. Prends donc garde à ce que tes nerorécepteurs ne créent pas de leurre, ce que les sombres volatiles pourraient voir comme une simple collation pourrait bien se transformer en extrême onction. L’ « interlude » magnétique et sépulcral morro introduit très bien la transhumance des ions vers leur nouvelle destination digitale. etch n sketch et plasmik feront le reste.
Les tubulures des câbles sont désormais boursoufflées comme la gueule des Bogdanov. J’ai jamais été trop fan de ce genre de sonorités, mais il faut reconnaître que wave and acid et son aspirateur à particules fines font plus que bien le job. Tandis que york capacitor poursuit son travail sur les fréquences redéfinissant les équilibres et défragmentant les champs auditifs et visuels, rene analogue seq s’élève comme l’emblème tubesque de cette boucherie post geeko-industrielle (putain de ballet et fuites en avant de percussions digitales). Comme si cela ne suffisait pas, l’album est agrémenté de trois remixs de qualité supérieure. Celui de Vaetxh (toujours excellent celui-là) fait même l’exploit de résonner cyberpunk sans trop singer Access To Arasaka. Celui de Valance Drakes suit quand à lui un sillon très fluide un peu D&B. Bref, du grand art.
Là où le jusqu’au boutiste français Qebrus pêche par excès et rend donc presque ses démonstrations invendables (même si escellentes), Richard Devine signe ici une synthèse impressionnante de ce qui pourrait être le futur de l’IDM. Du côté de Detroit Underground ? Affaire à suivre.