Violoncelliste reconnue dans les sentiers indépendants de son pays, la polonaise Karolina Rec a pour principaux faits d’armes d’avoir été crédité à la bande originale de Rabbit a la Berlin (nominé aux oscars) ainsi qu’une splendide demo envoyée à la référence Fat Cat Records l’année dernière. C’est pourtant sa « filiale » 130701 qui publiait il y a quelques semaines l’album éponyme du projet Resina, salué depuis comme il le mérite par les intransigeants spectateurs de l’Union Chapel. L’ancienne étudiante de l’académie musicale de Gdansk commence à tourner partout là où il faut, souhaitons que son exceptionnel premier disque amorce une longue série.
Je l’ai déjà dit ici et ailleurs maintes et maintes fois, la scène « modern classical » m’ennuie de plus en plus. Avant tout pour sa fainéantise et son opportunisme, qui consiste à empiler les ascenceurs émotionnels et à ne pas sortir de sa ferme volonté à absolument résonner beau et fédérateur. Fort heureusement, les violoncellistes semblent à l’abri des critiques qu’on assènera plus facilement à destination de pianistes fragiles. Des gens comme Julia Kent ou Hildur Gudnadottir continuent d’expérimenter et de créer sans céder aux sirènes du populisme. Au pays des héritiers de Gorecki, Resina se situe dans cette même veine boisée, qui n’a de cesse de se ré-inventer sans renoncer aux aspects charnels et organiques qui constituent la sève de ce noble instrument.
L’univers de Resina est cousu de reliefs et de contrastes, propice à l’errance nocturne dans les souvenirs d’une enfance non vécue. Ces cabrioles dans les ronces où on s’écorche sans jamais se faire mal, ces chutes dans les hautes herbes dont on se relève à chaque fois, ces marais du souvenir dans lesquels on ne s’enlise pas encore. Une canopée d’arbres centenaires, célébrant ce qu’ils doivent à leur part d’ombre, et où l’on meurt toujours pour de faux.
Une véritable symphonie des chants plaintifs, puisant aussi bien dans l’héritage du sérialisme que dans des harmonies simples mais belles à s’y pendre avec bonheur. Où les effleurages délicats succèdent aux frottements nerveux., dévoilant tout l’érotisme du cri de cette interminable crinière, quand elle caresse, pince, frappe les cordes et encercle une nuque fragile.
Resina est un canevas de tensions et de sensations ambivalentes, une musique de nuit où se tutoient la fièvre et la tendresse, où la notion de zone de confort est à relativiser. Nombreux seront ceux qui trouveront à cette musique des accointances sévères avec le landscaping et l’univers du britannique Richard Skelton. Encore plus pour ce même goût des enregistrements en plein air, où les sons de la nature influent sur les notes et les résonnances, déployant des aspérités qui font partie intégrante du sillon artistique. A noter aussi ce comparable métier à tisser des toiles de boucles hypnotiques, lacérées par d’amples segments gravissimes. En points d’orgues du disque, l’inquisiteur Nightjar et le faussement sautillant Flock, viendront dans une dimension très rythmique et tonale bouleverser le procédé.
Resina est un album enchanteur, illustrant parfaitement les bois dont certains rêves sont faits. A recommander sans la moindre mesure aux heures bleues et tardives, pour les chasseurs de papillons de nuit, qui aiment perdre haleine dans leur combat contre l’insomnie.