En un peu moins de dix ans de carrière, Frederike Hoffmeier aka Puce Mary n’aura fait que très peu d’infidélités au label danois Posh Isolation. Parmi ceux-là, on retiendra le court mais excellent The Viewer, paru chez la souvent pertinente maison Ascetic House. A mon avis, The Female Form (réalisé avec Loke Rahbek) et The Spiral (ici) sont les points culminants de sa déjà très qualitative discographie. Celle qu’on compare bien trop souvent injustement à Pharmakon a bénéficié récemment de la reconnaissance d’une certaine « Inteligencia ». Je parle de celle qu’on rencontre à l’INA/GRM, qui l’a convié il y a deux ans à Présences Electronique, qui est certes plus poseuse et intello que celle qu’on croise à l’Atonal, mais qui est sans doute plus honnête et autrement moins opportuniste. C’est sans doute aussi ce qui a convaincu le costaud et en perpétuelle montée de hype (et déclinant diront certains) label berlinois PAN pour l’attirer dans ses filets. L’accès à un auditoire moins niché et donc plus ouvert est donc sur le papier une très bonne nouvelle, la danoise méritant très largement ses succès d’estime à défaut de pouvoir prétendre pour le moment à des ventes « conséquentes ».
Si bien des choses marquent un pas dans l’évolution musicale de l’artiste, les thématiques et l’ambiance générale demeurent inchangées par rapport aux opus précédents. Eloge d’un sadomasochisme dadaïste (ça veut rien dire mais c’est ce que j’ai trouvé de mieux), expression des peurs et angoisses primales, illustration des émotions et sentiments mécaniques. Des fréquences abrasives bien noisy, déclamations chamaniques fiévreuses de prêtresse punk, expérimentations DIY plus ludiques que vaines, bref, tu connais la recette qui marche à chaque fois.
Mais en plus d’un setup sans doute un poil plus chargé, le véritable point de bascule se situe dans comment la musique de Puce Mary investit l’espace. Loin de moi l’idée de me livrer à un cours forcément rébarbatif d’audiophilie, mais il convient de rappeler que jusqu’ici, la manière dont Puce Mary diffusait son son était plutôt frontale et jusqu’au boutiste. Un sound check à droite, puis un à gauche, pour finalement envoyer toute la sauce toxique au centre du spectre et de l’auditoire. Ceux qui l’ont vue à Présences Electronique comprennent sûrement ce que je veux dire, ce sentiment d’admiration se mélangeant à la frustration face à l’aspect purement et simplement brutal. Dans une moindre mesure, cette impression était aussi présente sur ses albums précédents, et avec le recul, on peut considérer que c’est aussi ce qui faisait toute la force brute et artisanale du projet.
Cette fois-ci, pour The Drought, le parti pris est d’apparaître autrement plus subtile et minutieuse en terme de compos et de production, et osons le terme, d’offrir peut-être quelque chose de plus mature en terme de présentation et d’habillage.
Le problème est, et il est de taille, que ce n’est que très partiellement réussi.
Si les compositions ne sont pas critiquables au sens strict et demeurent efficaces, même si pour ma part je trouve que l’ensemble est moins fluide qu’à l’accoutumée et que la narration des climax apparaît parfois comme un peu échevelée, l’ensemble gagne en détails et en subtilités sur le principe mais perd dramatiquement de sa puissance. C’est comme si les niveaux d’intensité avaient été volontairement lissés à l’excès, et que justement tout ce qui se voulait détaillé apparaît finalement comme dramatiquement homogène. C’est très dérangeant pendant la grande majorité du disque, hormis sur l’enchaînement Coagulate/The Size Of Our Desires où cette sensation de tourbillon en cicatrisation sauvage est du plus bel effet, avec des effluves de Masks Are Aids échantillonnés de bien belle manière. Tout ceci résulte d’un choix de mix et de mastering qui certes ne se discute pas, mais qui à un niveau de sérieux comme celui de PAN, peut créer un fossé abyssal entre la réussite partielle et la semi-déception.
Ma passion et mon admiration pour la danoise m’ont poussé à tenter de déconstruire cette troublante impression de flatitude, en changeant les contextes et les formats d’écoute et en jouant avec les equalizers, rien n’y a fait. Même si j’en attendais probablement beaucoup trop, cet album fait partie de mes plus grosses déceptions de l’année. Partant du principe que les albums de transition sont parfois des brouillons avant les chefs d’oeuvre, et sachant Puce Mary largement capable du meilleur, je vais malgré tout conserver mon enthousiasme et attendre la sortie prochaine. En paix, et sans haine.