Ah ! L’a-neutralité helvétique…
La Suisse a quelque chose de bien. Elle est emphatiquement microcosmique. C’est bien son paradoxe et on l’en remercie. C’est peut-être le propre de ce pays que l’on conçoit comme fermé sur lui-même de permettre l’éclosion de tendances culturelles radicales.
On ne présente plus Dave Phillips. Activiste radical ayant démarré sa carrière à la fin des années 80, ancien membre du défunt Fear of God, cheville ouvrière de la formation à géométrie variable Schimpfluch-Gruppe, l’Helvète s’est toujours engagé dans des projets extrêmes dont les captations vidéos témoignent allègrement de l’investissement hors-norme qu’il y déploie. Collectionneur pléthorique de collaborations de haut niveau telles qu’avec Joke Lanz (AKA Sudden Infant) et Rudolf Eb.er (Cf. Schimpfluch-Gruppe), Francisco Meirino, Masonna, John Wiese, etc… son domaine de prédilection est l’expérimentation.
Nathalie Dreier s’est illustrée à de nombreuses reprises aux côtés de Dave Phillips, vocalement certes puisqu’il est question d’elle en tant que chanteuse dans PIWS, mais principalement visuellement. Son travail personnel est plus à chercher du côté de l’image. En effet, elle co-alimente avec Ana Hell un projet d’autoportraits photographiques, Red Rubber Road, dédiée à l’esthétisation surréaliste des corps, mâtinée parfois d’une légère subversion. C’est dans ce champ-là que sa contribution au projet intervient également puisque sa coreligionnaire réalise le clip d’un des morceaux de l’album, « Favour », par la mise en scène des membres du groupe dans la continuité de la série Secret Friends.
C’est donc dans les territoires d’une certaine marge que l’on trouve les deux protagonistes de Perverts in White Shirts. Mais cette collaboration est définitivement policée voire polie au sens d’un arasement des aspérités et de la rugosité. Il est évident que Dreier est l’instigatrice de l’assagissement de Phillips et non l’inverse au vu de leur pedigree respectif. En somme, c’est arty ! Désormais, il est rare qu’un tel terme suscite immédiatement la sympathie. Et pourtant… il est des associations qui provoquent l’adhésion. On passera d’emblée sur l’évidence un peu trop appuyée du titre Power to the Sheeple dont le jeu de mots laisserait subodorer une certaine facilité d’esprit. Mais enfin, nous en sommes tous là, parfois, et là ne réside pas l’enjeu…
Car l’écoute, elle, que dit-elle ?
« e.l.a.n.k.y » entame doucement par un effet panoramique de sonorités métalliques sous-tendu par une grosse ligne de basse et une rythmique efficace. La construction gagne progressivement en puissance, à l’unisson d’une voix tout d’abord contenue qui se déploie franchement en transe hystérique. « Favour » se place dans une continuité de construction électronique et vocale qui rappelle définitivement le 1er album de Cercueil. C’est gentiment complexe et définitivement accessible. « Sycophant » est sans conteste le morceau le plus percutant de l’album. La simplicité efficiente de la groovebox Roland MC-303 y est forcément pour beaucoup. Démarrant par un empilement de basses sur lesquelles la voix intervient parcimonieusement, il se développe comme un véritable hymne saturé Breakbeat amplifié par les scansions proches de la démence de Dreier : un format d’électro-clash. Cela fait songer à du Crystal Castles certes, mais surtout à du Camilla Sparksss dans la rage débridée. « Overfucked and Overstimulated » calme cette forme de violence ouverte en une menace plus sourde, murmurée par une voix masculine. Un même motif se trouve ainsi décliné de manière hypnotique. Se posent sur ce canevas des entrelacs d’expérimentations et captations multiples se répondant mutuellement. Le collage sonore témoigne d’une formidable maîtrise sans toutefois tomber dans l’hermétisme. Le final de l’album, « Anton », donne toute la mesure des capacités de Phillips dans le field-recording. Construit autour des matières dans une visée de paysage sonore, il ferait volontiers croire à une bande-originale hypothétique d’un moyen-métrage de Jiří Barta. The Last Theft, pourquoi pas… ?
L’écoute se clôt ainsi et intime le constat suivant : voilà ce que donne une musique accessible qui ne verse pas dans la putasserie. L’avantage incontestable qu’ont les gens qui savent d’où ils viennent et surtout ce qu’ils font avec peu de choses au final ! Si le terme « arty » pouvait de nouveau avoir cette définition, ce serait appréciable.