J’avoue avoir été surpris d’apprendre que Ad Noiseam allait sortir deux albums du même artiste cette année. Pas seulement parce que c’est pas dans les habitudes de la maison, mais surtout parce que je ne pouvais envisager l’intérêt d’une suite aussi rapide, même intéressante, au très très bon Bads paru en mars. Le dossier de presse donne aisément la réponse. Smaida Greizi Nakamiba est la demo qui acheva de convaincre Nicolas Chevreux de produire la musique du letton. Bien sûr, l’habitué des lieux Mobthrow est passsé par là, pour arrondire les angles et quelques spectres. Ce qui se révèle comme une oeuvre musicale pré-apocalyptique inspirée par les écrits de Sartre, Huxley ou Orwell est donc l’aînée de la boucherie furieuse publiée plus tôt. Il faut dire que Arvïds Laivinieks a depuis sévi sur bon nombre de scènes, dont Burn the Machine et le Maschinenfest. Que les lyonnais qui furent conquis par Bads et par la chronique qui va suivre s’empressent de prendre leur place pour la soirée du Riddim Collision, où le letton se produira aux côtés de Rotator et Niveau Zero. Si l’album du jour mérite autant le succès critique et commercial acquis par son petit frère, c’est avant tout parce qu’il dévoile une autre facette artistique surprenante. Pas une suite ni un vulgaire précédent, plutôt l’ idéal complément.
Car là où Bads avait saisi le beat pour lui tailler des couettes et mieux l’enfourcher comme un BMX, The Future Smiling Wryly fait le pari d’une certaine retenue dans sa violence. Elle n’en est point absente, celle-ci se montre en fait peut-etre encore plus vicieuse dans ses reflexes les plus contenus. Et pourtant le tableau n’est guère plus reluisant. Les parfums de bêtes claquées, la B.O d’un doomlike qui n’existe pas encore, ont laissé la place à une exposition frontale des béances du monde moderne gore. Pas vraiment le spectacle que se prendrait en pleine gueule un elfe gay découvrant San Francisco. Mais plutôt celui qui te donne envie de t’enfouir dans un bunker dévasté, une usine désaffectée où tu seras, lecteur/auditeur, aux premières loges pour assister aux derniers sursauts de la matrice agonisante. Malduguns avait déjà tout charclé plus tôt dans l’année. L’oeuvre aujourd’hui présentée se révèle donc peut-être un peu plus homogène, en plus d’être foncièrement plus « composée ».
Les effusions du beat sont toujours là, dans leur replis fétaux, quand le haut fourneau irradie les chairs faisandées de braises bien rougies. Le letton ne verse toujours pas dans le sound design propret et épuré. Les coupes franches sont faites à l’éminceur émoussé, ce qui donne à l’embrasement rythmique une teinte âpre et cradingue. Pas le temps pour l’enluminure, du moins pas là. L’apocalypse sera hégémonique ou ne sera pas.
La violence est donc perchée au dessus de ses neuf titres. Et ça sans jamais complètement fondre sur nous, anges déchus sans auréoles. C’est ailleurs qu’on ira réapprendre le goût du sang, et du sol. Dans le fourmillement rythmique en général, mais sûrement dans les cordes et l’orgue empruntés à un post-rock ancestral sur l’excellent Be Not Afraid. Ou sur le piano solo de Music Relevant Changes, qui rappelle définitivement toute la passion du letton pour le compositeur Preisner. En bref, dans tout ce qui emprunte subtilement au dubstep ou à l’indus rythmic noise, pour allier efficacité, rugosité presque dancefloor à la composition pure et dure. Comme sur l’excellent et vicieux Painkiller For A Weary Soul, où sur les sursauts épiques et fracturés de The Hunger Am I. Là où, seul à son feu rouge beugle un auguste romanichel, parce qu’il n’y a plus âme qui veut se faire éponger le pare-brise ou même tâter de son opinel. Dans un souffle plus débridé, le cynique The Happy Ending clôt ce que la pire des races (les hommes, pas les roms) a transformé en apocalyptique épopée. Il est temps de se passer Bads avant de dormir. En chien de fusil, pour mieux descendre les gargouilles et les trolls qui vont venir.