Tous les deux membres de Farewell Poetry et du Réveil Des Tropiques, Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul (respectivement à la guitare et à la basse) se sont adjoints les services du batteur Ben Mc Connell (Marissa Nadler, Beach House, on ne citera pas Helena Noguerra) pour former un trio rock qu’on qualifiera de « libre ». Rejoints par un vidéaste pour les performances « live » et pour ajouter un support visuel au disque, ils publient leur éponyme chez la renommée maison belge Sub Rosa, dont on parlait il y a peu dans la chronique consacrée au nouveau disque de Berangere Maximin. Nos chroniqueurs « spécialisés » dans le genre ne l’écouteront et n’en parleront sans doute pas. Ce qui ne doit pas vous empêcher de vous accorder une petite sortie, tant l’album dont il est question aujourd’hui est une petite tuerie.
Le rock est vieux, même mort pour certains. Réjouissons nous alors que certains groupes n’aient pour autre objectif que de dissoudre ses carcans. Les journaleux, et les fans de l’étiquetage chronique, avaient cru tenir leur saint graal, se devaient de donner un nom à cette démarche. Vive le post-rock qu’ils disaient.
Plus de vingt ans plus tard, ce qui ne devait surtout pas accoucher d’un genre est devenu un cliché. Et partout sur les internets, on croise d’augustes blogueurs/chroniqueurs qui nous expliquent qu’ils sont les dépositaires de son identité, les témoins de sa naissance et de ses mutations. Tout comme pour l’ambient, les captures plus ou moins labellisées Instagram de canopées millénaires, de Dame Nature drapée dans un vilain sépia, ou de décors apocalyptiques qui donnent envie de se laisser pousser la tignasse pour ne plus rien en voir, ont envahi les bacs du monde entier.
Musicalement parlant, la construction est tout ce qu’il y a de plus prévisible. Les guitares dramatico-romantiques envoient des signaux à la batterie, qui d’un revers capillaire commanderait à l’ensemble de s’embraser. De ces saturations masturbatoires, de ces montées qui n’ont de vertigineuses que leur propre vide, naquit le règne de la chianlie, avec ou sans violonades transies.
Il serait parfaitement malhonnête de nier l’existence de grands groupes, eux-même auteurs de grands disques dans le « genre ». Mais combien doit-on en retenir réellement ? Avec un peu de chance, chers lecteurs éclairés, nous citerions tous les mêmes. Surtout, ceux qui sont parvenus à s’émanciper, et à renoncer au statut d’élus face au trop grand nombre d’appelés au comptoir des exaltés. Oiseaux-Tempête fait partie de ceux-là, et rejoignent ainsi directement les rangs d’un rock instrumental français qui a toujours connu de très grandes heures. Dans certains cercles réservés aux initiés, aux amateurs de concerts et d’instants chavirés. Pour vivre heureux, vivons cachés. De la masse, mais pas de tout. Oiseaux-Tempête est sorti de son buisson pour mieux embraser les arbres qui cachent la forêt.
Je suis toujours assez admiratif face à ceux qui proposent des oeuvres militantes bruyantes en ayant l’intelligence de fermer leur gueule. La musique offre une des rares possibilités de connexion à la politique sans pour autant forcément en épouser les « ismes ». Oiseaux-Tempête ont rangé les drapeaux et les slogans poussiéreux dans le placard des combats d’arrière garde. L’art et le libre arbitre assis à la même tablée, pour propulser des objets contondants sur toutes les polices de la pensée. Que dire si ce n’est qu’un album défendant bruyamment de telles idées silencieuses ne pouvait qu’être « chroniqué », sur un site qui prend le parti de se nommer Silent Weapons for Quiet Wars.
Il est très compliqué de ne pas céder à certaines tirades imaginaires et narratives devant un disque dont on a pas vu la variation live, et à propos duquel on ne dispose pas du support visuel associé. Mais on peut aussi considérer que le propos strictement musical se suffit à lui même et qu’il est possible d’en extraire quelque chose de pas si perché. Pour ce qui est de la composition, le trio a brillament saisi l’idée qu’il était possible de faire individuellement du bruit sans renoncer à s’écouter. Que seul la puissance et la beauté du concept sont à démontrer.
Radeau de la méduse sur lequel on récitera des requiems et des kaddishs à destination de l’Occident, l’embarcation des Oiseaux-Tempête évitent les poncifs comme autant de récifs. On y croise des compagnons de lutte, de misère et de misaine, chiens de mer altruistes aux accents grecs, slaves ou russes, ayant pour seul et unique bagage que la simple énergie du désespoir. Avec eux, on célèbrera dans le vin et la bière le combat pur et non son issue, pour faire de ces instants là des petites victoires si vaines qu’elles ne peuvent en être que plus belles. On fusionnera comme il se doit avec les silences, les moments plus propices à la contemplation, surtout pour souligner ce qui nous tient en haleine : le retour à venir de la tension.
Bénis soient les poètes qui peignent des tableaux noirs à partir de la lumière. Grâce à ce disque il nous est possible de prendre part à la traversée. Rejoindre l’île de Patmos et y rédiger dans le sang l’ inéluctable apocalypse des hypocrites sociales démocraties. Dans le même bain, de fureur et d’eau salée, on tentera aussi d’y noyer l’aube dorée. Ô Babylone la grande, même symboliquement, il n’aura suffi que d’un instant pour que tu sois terrassée.
Ablaze In The Distance, Kyrie Eleison et Ouroboros sont pour moi de ces titres qui transpercent les nuits de lutte, de doute et de certitudes tourmentées. Dense, d’une beauté violente, qui confère autant à l’embrasement qu’à la retenue, Oiseaux-Tempête signe ici un album magistral qui devrait accompagner durablement bien des écorchés.