Le bordelais Frank Zaragoza n’est pas complètement inconnu de ceux qui suivent l’actualité des musiques électroniques alternatives depuis un petit moment. J’ignorais pour ma part qu’il était français. Son confidentiel Les hommes ne savent pas voler de 2010 ne laissait pourtant que peu d’ambiguité sur ses origines, tout comme les incontestables influences de Gridlock et Access To Arasaka sur sa manière d’envisager les fractures et le beatwork. Si ce premier essai dressait de belles promesses, ses mélodies peut-être encore un peu trop naïves se révélaient légèrement poussives, surtout sur le plan rythmique. Mais ça c’était avant, avant qu’Ephemeral Beauty ne s’élève comme un des meilleurs titres du volume 3 de l’Emerging Organisms cher à Tympanik. On ne peut donc pas s’étonner qu’il se rapproche du label n5md, qui compte en son antre probablement pas mal de ses musiciens préférés (Proem, Mike Cadoo). Plus surprenant, mentionnons furtivement que le français expose son goût prononcé pour l’electronica candide et réforme l’orthographe dans les pages d’un webzine de son coin (qui compte dans ses rangs quelques anciens lecteurs de Chroniques Electroniques plus ou moins inspirés). Son Light As A Feather est une petite tuerie. Parions donc sans risques (avec plus d’ironie que de réelle médisance) sur le fait que sa musique survivra aisément à ses écrits.
Au pays des armes silencieuses et des guerres bruyantes, il existe encore quelques hussards qui propulsent leurs songes en musique à la lueur des balles sifflantes. L’electronica, et ce qu’il convient encore parfois de nommer IDM, souffrent depuis quelques temps d’une dérive déshumanisée, algébrique et informatique où chacun voudrait masquer de trop visibles ficelles tutorées. Certains patientent face aux pâles copies vulgaires, avant tout pour retrouver l’âme organique de naguère. Celle qui réchauffera les coeurs, et les guerres. Saluons l’effort du français comme il le mérite, puisqu’Ocoeur a allégé sa naïveté adolescente pour devenir un insolent esthète de la chimère.
Avant tout parce qu’il a su réduire le beating à l’essentiel, pour sauvegarder juste ce qu’il fallait de contraste dans une troublante et mélancolique musicalité. Parce que pour transmettre du rêve éveillé il faut parfois savoir user du palpable, certains vrais instruments (piano, violoncelle) sont intégrés aux softwares. Là où d’habitude les samples ou de vilains clicks cherchent à s’accorder une empreinte symphonique galvaudée, le français érige un canevas de l’évidence et de la simple complémentarité. Et putain, ça sonne. Sans le pathos et la mièvrerie qu’on aurait pu supposer.
Cousue de cristal et de débris de boîtes à musique, sa musique confère aux angoisses enfantines une caresse des plus maternelles. La main qui vient justement te rassurer au réveil, pour te dire que le monde est beau et mérite d’être exploré. Celle qui te rappelle que le rêve, à défaut d’être illusoire, est sans danger. Que l’éternelle et insoutenable légèreté de l’être n’est pas toujours à conjurer. Car si la vie est forcément plus belle quand elle est romancée, la plume, même si plus volatile se trouvera toujours plus habile que l’épée. Merci donc à Ocoeur d’avoir décrit ses rêves, en toute élégance et volupté.
Pour ne pas déteriorer les émotions potentielles propres à chacun, je ne cèderais pas à la description subjective d’une musique et de ce qu’elle a à transmettre par elle-même. Disons donc simplement que le beatwork est cette fois-ci extrêmement propre (et intervient un peu pour exprimer l’obscur et les zones troublées du rêve) et qu’absolument rien n’est à jeter. J’avoue avoir une petite préférence pour Resonance, Dream Pursuit (et sa cavalcade pianistique qui me rappelle vaguement quelque chose), My Love (sa pluie battante et son piano peuvent même consoler un chien qui a perdu son punk), pour la mélancolie et le sage sound design glitché de Feather (rien entendu de mieux fait dans le genre depuis les meilleures prods Boltfish) pour les vaporeuses fractures d’Astral Projection. Ce dernier titre cité, se permet même quelques invitations plus technoïdes dans les kicks (encore plus sur le tout aussi recommandable 1.11). Voilà qui ne fera peut-être pas vibrer les clubbers, mais qui se trouve être tout sauf ratée pour l’oreille ouverte et avertie.
Ne soyons pas avares en excès. Light As A Feather est pour moi le meilleur album entendu dans le genre depuis bien trop longtemps. Définitivement DIY, le français n’a eu besoin de personne pour effectuer un mix et un mastering sans le moindre accroc. Ne boudez pas votre plaisir, cet album est bien plus qu’une simple mise en bouche avant ce que tout le monde attend le 10 juin, et le tant patienté nouvel album d’Arovane, à paraître en fin d’année également du coté de chez n5md. Pire que recommandé.