En moins d’un an, le jeune français Ocoeur est devenu un poids lourd d’une scène IDM/electronica en soins palliatifs, et ce même si certaines récentes annonces tout à fait excitantes injectent un semblant d’adrénaline dans ses circuits. Light as a Feather a conqui pléthore d’oreilles bien au-delà de nos frontières, et avouons le, nous ne sommes pas mécontents d’avoir été parmi les premiers à en parler (à l’époque sur SWQW). Fait rare pour ce genre de musiques électroniques, le bordelais se produit en live, et malgré des parties visuelles discutables, il paraît qu’il le fait très bien, perpétuant ainsi la meilleure communication/promotion qui soit : la scène.
Intégrer si bien les instruments charnels à une matière digitale extrêmement mélodique n’avait pas encore été fait. Et sans remettre en question son talent une seconde, on peut malgré tout énoncer qu’il a surtout débarqué au bon moment, et pas chez n’importe qui (n5md). Pourtant, on lit ça et là des avis tranchés émanant de gens totalement hermétiques à ses arabesques et cabrioles glitchées. Ici même, on pouvait observer au beau milieu des élans d’emphase les tirades suivantes :
« Je n’avais jamais rien écouté d’aussi émouvant depuis la BO d’Amélie Poulain. »
« Loin de moi l’idée de chier à la gueule d’une musique indépendante et intègre mais force est de constater ici un propos musical vieillot, déjà rongé jusqu’à l’os durant presque une décennie ( en gros 1995 2005 ) ainsi qu’un son « joli » pour l’oreille naïve mais en réalité jamais beau. Le côté mélancolique mou, bien consensus, a coup de clochettes post Philip Glass bien reloues comme on en a bouffé sur tellement de tracks déjà. Les glitches de beat bavards, qui donnent la sensation d’un tricotage, dont la fonction serait de faire passer le temps. On sent le savoir faire. Le tout me donne une certaine sensation d’apolitisme mou. Cordialement. »
Et bien, loin de moi l’idée de jouer les nouveaux adorateurs de la neutralité suisse et du « chacun ses goûts », mais sans sombrer dans le caractère acerbe si français et prompt à dégommer tout ce qui sort de la confidentialité, avant de parler de l’album du jour, il convient de décrypter ce pourquoi la musique d’Ocoeur fait autant parler. Tout en gardant dans un coin de la tête que c’est souvent l’apanage des disques amenés à rester…
On pourrait se contenter de dire qu’on adore la musique d’Ocoeur pour les même raisons que certains la détestent. Mais ce serait omettre le replacement dans un certain contexte, musical, mais aussi de société. La techno actuelle ne s’est jamais montrée aussi claustrophobique (la bonne tout du moins, certains diront celle qui marche) et presque dépourvue de tout substrat mélodique. En dehors de quelques rares hussards réellement mélomanes qui subsistent tant bien que mal au milieu d’elfes des bois bas du front, l’electronica chaleureuse foncièrement mélodique a disparu. L’heure est au déferlement technique parfois un peu gratuit, à l’appellation pompeuse « sound design », aux software froids et à un revival vaguement acid qui n’excite au fond que les hipsters (blonds) de moins de vingt-cinq ans. Bientôt, se caresser le chibre contre un orgue Bontempi (ou un Roland suranné dont plus personne ne veut) sera un pré-requis pour se réclamer membre du royaume de ces néonerds qui confondent les contenus de Pitchfork et le boule de Jade Laroche (elle aussi bordelaise). Alors oui, la gloire du Ice Bucket Challenge et les critiques musicales d’Enora Mallagré donnent envie d’écouter du dark ambient dans le con de Junon entre deux égorgements à Falloudjah. Sans la réduire aux seuls disques d’Ocoeur, en ces temps troublés de dérive déshumanisée où il est quand même de bon ton de qûeter une alternative aux belges chansonniers, la mélodie et la rêverie font du bien (bande de fdp) quand elles sont si bien orchestrées. Voilà, j’ai fait slurp. Pardon, parlons du disque annoncé.
Si on s’en remet aux premières mesures de Universe et L’Horloge, les aiguilles du temps qui passe vont jusqu’à piquoter la colonne vertébrale d’un album qui invite à imaginer d’autres vies que celle qu’on mène, à guetter une brêche au creux du ciel et profiter des failles temporelles. La propulsion s’effectuera à 2″37, lors d’un First Highway extrêmement bien élaboré, qui trahit des progrès supplémentaires pour ce qui est du mix et de la production. Même sans l’excellence de spatialisation qu’on lui connait, les auditeurs avertis pourraient même trouver à ce titre des accointances avec la maison Ultimae. Absolument brillant.
Evoquons aussi les titres où apparaissent les véritables instruments. Ils sont cette fois-ci autrement plus focalisés sur la volonté d’immersion dans l’ambiance que sur les velléités orchestrales. Kofski et ses jolis crins est probablement l’exemple le plus parlant. Surprise étrange, les trois titres concernés ont été amputés du format vinyle. On comprend bien la contrainte de durée pour les galettes cirées, l’album s’en trouve en tous cas sévèrement diminué. Dommage.
Si on doit guetter l’évolution entre les deux albums, constatons le renforcement important du synthétique et ce souhait de compromis entre ambient rêveur langoureux et morceaux plus technoïdes. Demeure ce qu’on apprécie toujours autant chez Ocoeur, cette habileté narrative et ce troublant mélange entre le lumineux et certains climats légèrement plus torturés et oppressants. Sans jamais que l’un prenne le dessus sur l’autre, bien loin des postures du tout opaque et des schizoboys de façade (Beyond Infinite). On saluera donc comme il se doit la luxuriance et la densité d’un North (où il appuie tout juste ce qu’il faut sur son piano pour souligner les spirales) et les ambiances plus morcelées du titre qui donne son nom à l’album. Le beatwork rappelle sur celui-là l’album précédent, et ce n’est pas pour nous déplaire. Pour les clients de « l’onirique à souhait », le final Red est absolument à tomber.
Puisqu’on parle de beatwork et qu’après autant de compliments certaines maigres critiques peuvent ne pas être usurpées, disons que si Ocoeur prouve à maintes reprises sur ce disque (et sur le précédent) qu’il ne souffre d’aucunes carences rythmiques, il n’est néanmoins pas un « beater » patenté. Ce n’est pas forcément un souci en soi mais sur les morceaux justement plus rapides, il arrive qu’on constate une utilisation du glitch un peu excessive et des effets pas toujours indispensables. Un recours à une certaine épure ne nuirait pas au propos, et soulignerait encore plus ses grands talents de producteur.
Bien qu’heureusement différent de son prédécesseur, A Parallel Life et son concept bien maîtrisé prouvent encore que pour ce qui est de la composition, la production et la mélodie pure, le bordelais ne souffre d’aucune concurrence notable dans le genre. Que les aigris se mettent au couple Ableton/Logic (spéculation inside) et tentent de faire au moins aussi bien. Nous autres, attendons la suite avec toujours autant de ferveur. La mélodie c’est la vie (bordel) !