Le rap ricain n’a probablement jamais connu autant de variantes. En observateur assidu du courant, j’imagine que tu as toi aussi plus ou moins ri face aux dérivés « white trash », « queer » ou même « facho » que comptent la scène indé. Moins prompts à vouloir se dresser une place au soleil ou à la table du fameux « game », certains individus ou formations rament pourtant sévèrement pour se trouver une originalité relative, apte à offrir une alternative à cette monstruosité sans nom qu’est le « dirty south ». Bref, les membres de Moodie Black se tapent de toutes ces digressions. Leur EP éponyme de l’année dernière a mis tout le monde d’accord, y compris en France (leur passage au Riddim Collision en a calmé plus d’un). Oui, on peut faire du noise rap sans vulgairement pomper Dälek. Se soustraire aux postures un peu artificielles et adolescentes de Death Grips ou encore éviter l’escroquerie dont seul Kanye West était capable. Si Chris Martinez (MC) et Sean Lindahl (guitare) se fréquentent depuis dix piges à l’ombre de la très « glam shine » mais définitivement underground Minneapolis, c’est avant tout le format court précédemment cité, ainsi que la tournée associée qui les a réellement exposés à un public plus que demandeur. Ils sont visiblement rejoints par un troisième larron dont le rôle et l’identité me sont encore inconnus (brasse donc la merde pour apporter matière à l’édifice). Ce premier album est signé chez le très très éclectique Fake Four, Ink tandis que Jarring Effects se charge de la distribution digitale hors bandcamp. T’es déjà sceptique ? Tiens, appelle ton dentiste immédiatement après avoir consommé la chouquette toxique.
Si Nausea possède les avantages mais aussi les inconvénients d’un album sans invités et marqué par un univers aussi fort que cohérent, il devrait cependant ravir ceux dont certaines batailles livrées la ferraille entre les dents ont laissé un goût prononcé de mitraille sur les papilles. Le beatwork est cinglant, suffisamment minimaliste et primitif pour servir à merveille les sentences et déclamations glaciales du boucher monocorde. Les guitares oscillent entre climats malaisants, riffs infectés par le tétanos, goût pour le blast jamais trop ostensiblement abrasif et élans mélodiques qui donnent à la sombritude ses éléments de noblesse. Ceux pour qui le marasme est plus écoeurant que passionnant pourront regretter certains filtres et effets dispensables sur la voix, ainsi que le fait que ça se gâte un peu en fin de disque. Pour les autres, ne gâchez pas votre plaisir et que les sentiers de la perdition vous soient ouverts.
Nausea exprime finalement de très belle manière le revers sombre et putride du rêve américain. On peut bien sûr élargir ce constat à toute la (famélique) scène noise rap, mais la darkissime aventure sonique ici proposée, aidée par un propos au fond plus réaliste que nihiliste, a le mérite de dévoiler sa forêt d’images.
De celles qui renforcent dans l’idée qu’on est bien qu’entre chiens et loups à lécher la même gamelle. Où les détritus décorent aussi bien que le matériel peu stérile qui jonche le sol des crack houses. Où les anges de désolation côtoient les fracassés de la rue, libres de ne plus rien posséder et de ne plus compter pour personne. Seule une flamme témoigne encore un peu du merdier dont ils furent recrachés comme des glaviots dans le néant. Tu veux bouffer la poussière pour mieux creuser ton trou ? Lee Jeffries a des copains à te présenter pour t’accompagner dans ton office. Le défilé de portraits devrait très bien agrémenter l’écoute d’un album où il est préférable de rejeter ses derniers résidus d’humanité pour survivre à la réalité.
Je suis moi même coutumier de la critique face aux fausses alternatives proposées par les nouveaux rejetons du rap. Y compris de celles dont le communautarisme à peine voilé peut renforcer un public essentiellement blanc (fan de casquettes trop grandes) dans sa connerie et son inconsistance. Mais à l’heure où l’été vient poindre, accompagné de ces aspects les plus hédonistes et « tropicalistes », il est parfois bon de savoir que certains gouffres restent ouverts. Moodie Black fout un coup de pompe dans la fourmilière. Les voir revenir en live dans nos contrées serait une bien charmante initiative. Sartre disait dans sa nausée que tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre. Que les sirènes du rap l’entendent et que certains courant meurent enfin pour laisser la place à d’autres. Voilà, c’est bon, tu peux libérer ta bile et laisser place à l’ulcère.