Rien ne semble pouvoir arrêter Mika Vainio. Celui qui fut membre du légendaire duo Pan Sonic (ils n’ont été un trio que deux ans) aurait pourtant toutes les raisons d’être blasé. Lui qui a collaboré avec des monuments comme Merzbow, Sunn O))), Charlemagne Palestine, Kevin Drumm ou encore Fennesz ne semblent pas souffrir des outrages de l’ennui et du temps. Tout juste un an après l’excellent Magnetite, il revient avec son Kilo sous le bras chez Blast First Petite (de la même famille que Blast First et Mute), armé de ses deux seuls poings de mesure pour nous foutre un nouveau lot de parpaings dans la gueule. Et ce malgré un artwork plus évocateur que réellement abouti.
Comme tout lascar qui a expérimenté à partir de souches bien industrielles, le finlandais n’échappe pas lui non plus, à l’étiquetage « post-Throbing Gristle/Cabaret Voltaire« . Si cette tentative de filiation m’avait jusqu’ici toujours parue un peu facile, voire parfois complètement à côté de la plaque, elle est cette fois-ci un peu moins usurpée (tu sens la malhonnêteté intellectuelle venir ?) qu’à l’accoutumée. Avant tout parce que ce qu’on pourrait qualifier de beatwork se veut cette fois-ci tout ce qu’il y a de plus pragmatique, old-school, pour ne pas dire primitif. Ce n’est pas un gros mot, encore moins quand c’est pour parler d’un album juste passionnant, qui donne envie d’aller forer le cerveau de Caroline Fourest à coup de shrapnels pour en extraire du pus.
Résolument downtempo, Kilo n’est pas complètement émancipé des zones de flottements qui accaparent régulièrement certains concepts du finlandais. Mais là on s’en fout, parce que la teneur est autrement moins absconse, mais aussi parce que les climats en latence permettent d’installer le mécanisme de la charge. Et elle est pachydermique, froide comme le chrome et aussi efficace qu’une bombe sale.
L’artwork bête et méchant, ainsi qu’un peu suranné, prend alors tout son sens. Il n’est question que de poids et de matière. De frappes qui contournent l’obstacle, deviennent invisibles pour mieux pénétrer la cible. On ne saurait en plus, ignorer la propre implication physique (et donc la présence organique) de l’artiste. Celle qui trace les contours, répartie les matières pour donner du sens au souffle. Celle qui sait d’où elle vient et où elle va. Droit au but. En pleine gueule.
Il serait maintenant peu inspiré de dire que cet album contient des bombes plus pénétrantes que d’autres. L’album est si cohérent et le tracklist si intelligent qu’il est difficile d’émanciper la moindre pièce du bloc. Il est toujours très compliqué d’allier downtempo, force de frappe et équilibre. Pas pour tout le monde visiblement, puisqu’il règne ici une maîtrise totale entre ce qui survient d’en dessous, ce qui dépasse au dessus et ce qui plante ses pieds dans un sol fragile et agité. Entre ce qui relève de l’indus pur, du sound design et de l’expérimentation accessible aux mortels. C’est brillamment violent, surtout dans l’art d’installer la déflagration entre un riff sauvage et une fréquence grasse. Vive le choc des matières.
Mentionnons donc, pour étayer le propos plus que pour réellement afficher des préférences, la force profonde en ouverture de Cargo, surtout dans sa manière de ne pas faire mystère de ce qui va suivre. Le pouvoir d’annihilation de Load et de Wreck. La brillante idée d’avoir placé Sub-Atlantic juste au milieu de l’oeuvre. Ce titre semble tapoter sur l’épaule de Thomas Köner pour lui faire part de sa présence (Coucou, tu veux voir mon beat ?). On ne saurait dire si il s’agit là de fields recordings captés dans les entrailles friables des abysses ou si c’est ce qui résulte d’un travail titanesque de numérisation. Peut-être les deux, on s’en fout. Scale, et son martèlement de signaux, de kicks gorgés de sub et de fréquences blanches, me donnent des envies d’invasion symbolique de la Pologne. Et puis en bouquet final, il y a la tornade morcelée de Weight et ses derniers sous-graves venus des enfers. Juste le genre de truc qui pousse à mordre à la culotte le Cerbère.
Kilo est un album époustouflant, physique et éreintant. Probablement un des tous meilleurs de Mika Vainio individuellement. Et pourtant il y a de fortes chances qu’il divise autant qu’il m’a pulvérisé. Inutile de vous préciser de quel côté de la balance il va peser, à la vilaine période des taupes de fin d’année.