I would die with a smile upon my face. With no complaints. As tranquil as a saint. This world would be transformed from a world of Pain. To somewhere sane. My eyes would shine again. But you don’t love me… (Matt Elliott – I Only Wanted To Give You Everything)
En un peu plus d’une décennie, le musicien bristolien (aujourd’hui installé du côté de Nancy) aura fait couler des océans de larmes dans le coeur des plus réceptifs à la poésie transie. Même si on peut bien sûr dégager différents cycles dans sa discographie, son mysérieux et sombre songwriting si particulier n’aura jamais cessé de fédérer. Celui qu’on compare régulièrement à Leonard Cohen fait partie de ces rares chanteurs capables de scander la détresse, d’accompagner les peines incommensurables avec classe, sans verser dans le pathos diluvien. Pour ma part, j’ai tendance à isoler le légendaire The Mess We Made du reste et à le rapprocher de ses splendides albums opaques, mixés « avec la bite », qu’il a composé pour le projet The Third Eye Foundation. Et aussi parce que son travail de guitariste s’est vu beaucoup plus approfondi par la suite, sur la trilogie des Drinking, Failing et Howling Songs. Ces albums qui te coupent le coeur en trois, et te le disséminent lors de funestes croisières en Andalousie, dans de fantasmagoriques cabarets des Balkans ou lors de duels au couteau avec des crooners forcément plus beaux ques toi dans des saloons de Russie.
Le bien nommé The Broken Man, comble de la douleur érigée en oeuvre d’art de (sur)vivre, aura fini de m’achever. Pour des raisons personnelles et parce qu’on développe légitimement une forme de possessivité vis à vis d’une vie parfaitement retranscrite dans les maux d’un autre, Only Myocardial Infarction Can Break Your Heart aura été son seul album à me laisser complètement sur la touche. Parce que comme n’importe quel fan, je suis un connard qui ne pardonne pas l’apaisement. Et qui se demande si toute cette détresse incarnée, alliée à une beaugossité visiblement non soumise à l’outrage du temps, n’est pas juste une posture opportuniste pour faire chavirer les femmes. Je le redis, je suis un fan, un connard par définition. L’annonce d’un nouveau disque, nommé The Calm Before, m’aura fait craindre de retrouver cette élégance de production dépourvue d’aspérités, cet apaisement dans la résilience et la douleur refoulée, malgré ce toujours aussi subtil pessimisme assumé. Si la version digitale est déjà disponible, les férus de l’objet devront attendre encore quelques semaines pour s’adjuger leur exemplaire auprès d’Ici d’ailleurs.
Ce nouveau disque est sans nul doute son opus le mieux produit et le plus minimaliste. Hormis son éternelle guitare aux techniques si spécifiques, pas ou peu d’effets mais des arrangements très élégants, et seuls une contrebasse, un violoncelle, un piano et une batterie accompagnent le chant.
Les craintes que j’avais pu ressentir à la simple lecture de l’intitulé du disque, même si il est ambigu, n’ont fait que se renforcer à l’écoute d’une intro (Beginning) bien trop cristalline et définitivement anecdotique. Ce que je peux reprocher au titre qui donne son nom à l’ensemble de l’oeuvre, fresque de presque un quart d’heure que le Matt affectionne tant, est tout aussi malhonnête et subjectif que ce qui m’avait fait faire l’impasse sur Only Myocardial Infarction Can Break Your Heart. Parce que ce titre m’apparaît bien trop apaisé, presque positif. et surtout parce que malgré une qualité de songwriting intacte et une construction narrative particulièrement chiadée, j’ai quand même un peu de mal avec ses harmonies vocales lancinantes et trop claires, qui se calquent simplement sur la guitare puis sur le piano pour finalement ne pas mener bien loin, si ce n’est du côté de ces captations venteuses légèrement éculées. Dommage, même si son dernier tiers (celui où il ne chante pas, en fait) rattrape bien le coup, j’attendais beaucoup plus d’un titre aussi symbolique et si long.
Mon aigreur sera vite amoindrie par le superbement écrit The Feast of St. Stephen (qui me rappelle très distinctement les plus beaux morceaux de Howling Songs), où le sublime timbre grave réagit parfaitement aux côtés des lentes plaintes du violoncelle et des cordes pincées dont il a le secret jalousé. Il y est question des tourments et des troubles existenciels de quelqu’un qui a connu les affres d’une éducation religieuse. Sur le plan philosophique et de l’écriture pure, c’est d’un niveau au dessus du remarquable.
They have to learn of fire & brimstone
Their mind is full of sin
And they must learn to beg forgiveness before the age of 10
It’s a pitiful disgrace
Christ would turn his face
At this great corruption of his faith
Je n’aurais ensuite que peu de mots pour décrire ô combien I Only Wanted to Give You Everything est sublime. Dans ses mots simples pour décrire le tumulte des amours passionnés, inconditionnels mais parfaitement unilatéraux; dans son emballement de cordes, de batterie martiale et de cris habités, cette chanson est probablement une des plus belles qu’il ai jamais écrites. Elle donne envie de répandre les cendres d’un amour déchu quelque part, sur une île méditerranéenne qui aurait déchiré sa mémoire.
Idem pour un Wings & Crown excellent et incisif, qui voit renaître la tension et les tempis plus enfiévrés. Ce titre, encore une fois magnifiquement écrit, est un coup de compas dans l’oeil de ceux, mégalos auréolés, qui se pensaient invincibles et imperméables au goût du sol. On ne saurait dire si l’artiste parle de lui, ce qui en plus d’être un titre d’exception en ferait une très belle preuve d’humilité.
You will find yourself alone
When you’ve fallen from your throne
I only pray there’s pity shown
When you’ve fallen down from your throne
It can be hard
When you fall from so far
If you fall or if you’re thrown
It’s the same down you’ll go
It’s a mighty long way down
When you’ve lost your wings & your crown
Pour les mêmes raisons qui font que j’ai pu ressentir un certain ennui lors de The Calm Before, The Allegory of the Cave me semblera un peu lisse, surtout pour une conclusion et après trois pareils coups de masse. Le calme résonnera néanmoins bien joli pour d’autres tandis que je me cantonne à la tempête. The Calm Before est donc un album partiellement brillant. Matt Elliott continue d’écrire d’incroyables chansons, à boire et à déboires, que chacun pourra inscrire dans sa propre histoire, certaines rejoindront même les rangs des sublimes, de celles dont on ira parfois jusqu’à taire le nom pour ne pas réveiller ses démons.