Par provocation ou par érudisme (peut-être les deux), il faut quand même avoir des attributs de grizzli pour utiliser l’intitulé d’un illustre manifeste russe glorifiant le surréalisme et le futurisme poétique, et le replacer en titre d’un format court. Le producteur Joe Bush (Manse) n’en est pas à son coup d’essai, puisque sa remarquable cassette parue il y a deux ans sur Opal Tapes avait déjà joui d’une certaine reconnaissance. Son Saroyan de l’année dernière avait lui aussi eu bonne presse, mais fut peut-être un brin éclipsé par différentes sorties qui firent de Lobster Theremin une sensation particulièrement prometteuse. Promesses qui furent confirmées dès le début de cette année, asseyant le repère de Jimmy Asquith à une place de choix aux côtés des labels techno qualitatifs qui comptent. A Slap In The Face Of Public Taste est sorti il y a à peine une semaine, et bien que son titre d’ouverture se soit déjà fait la cerise dans bon nombre de sélections, il devrait s’attirer lui aussi pléthore de louanges.
Tu auras sans doute remarqué que notre section techno connait une certaine forme de disette depuis quelques semaines. La faute à, paraît-il, un début d’année particulièrement morose pour le genre. D’autres raisons sont peut-être néanmoins à chercher ailleurs.
Pour ceux qui le connaissent, le flegme de l’hédoniste B2B n’est plus à démontrer. La multiplication de congés que connait l’éducation nationale ne l’a pas poussé à se creuser les méninges, et il paraît que le refus de sa hiérarchie devant son projet de classe verte dans la jungle de Roubaix l’a particulièrement abattu. Void s’est perdu dans un tunnel du Luxembourg où il courait derrière l’ombre d’un dérivé techno de Burzum, pendant que Feldspath s’est mis en quête du mix/podcast parfait pour lustrer des Birkenstock.
Tu auras donc compris que si je livre mon avis tout sauf légitime vis à vis de l’objet du jour, ce n’est pas par motivation animale vis à vis de la techno contemporaine, mais avant tout pour inviter mes collègues à se sortir les doigts du fion.
Je ne vais donc qu’utiliser très peu de mots pour te causer de ce format court tout à fait louable au demeurant.
Avec la précision métronomique et éthique d’un dentiste séfarade, ses synthés morcelés un peu « pouêt-pouêt », ses spirales frelatées et ses kicks suintant la graisse d’oie AOC, Sky Remit est l’efficace titre club par excellence. Encore plus ravageur et animé par des vrais sentiments annihilateurs, bien qu’affiliable à toute cette scène industrialo-dubi-Abdullahrashimesque, Kleptomaniac déploie le même label de qualité supérieure et ses aptitudes à bien nettoyer les conduits.
Le vrai tour de force de l’EP, ainsi que sa véritable profonde originalité, se situent dans les mesures du titre qui donne son nom au disque. A Slap In The Face Of Public Taste réalise la performance d’abrutir particulièrement intelligemment l’auditeur et de lui cuire l’encéphale à l’étouffée. Flatulences et traces de frein, frappes de déménageurs bretons et blasting beats bicéphales, tu auras compris qu’on est pas chez les pseudos-esthètes de chez Colette. Et pourtant, dans son squelette rythmique et dans sa désinvolture de façade, ce titre est d’une intelligence implacable.
Trêve de palabres donc, checke le lecteur bandcamp et prends ta chouquette en pleine tête.