« Le commencement est la moitié du Tout » » (Jean-François Mattéi, Pythagore et les pythagoriciens, 2013, p. 5)
Étrangeté de surface qui s’allie à une logique de fond. Ce disque termine la trilogie débutée avec Theta en 2013 et poursuivie avec Delta en 2014. Mai Mai Mai appartient à cette catégorie de créateurs qui narrent une histoire plus grande qu’eux. Avec cet album, Toni Cutrone nous fait réaborder subtilement les rives de la Grande Grèce. Le terme de son voyage Ulysséen tient en une réappropriation humaniste de l’antique, une tentative de compréhension plus vaste, plus complexe, plus humble également. S’il devait se dégager un intérêt primordial à cette démarche, ce serait de réinscrire l’individu dans le pourtour méditerranéen pour l’intérêt matriciel de ce dernier et non à travers le prisme de manipulations nationalistes ou d’un nihilisme post-moderne, voire pour sa dimension actuellement mortifère.
Car le Romain poursuit une quête placée sous l’égide la Philosophie. Phi se veut un accomplissement mystique. Phi est l’aboutissement d’un voyage. À ce stade, on frise la grandiloquence voire la vanité et, pourquoi pas, la naïveté. Or, la construction de cet opus s’inscrit dans l’âpreté. Les compositions ne cèdent rien à l’autosatisfaction. Et puis, regardez tout autant la corpulence du bonhomme que son masque de scène… on est très loin de Barry Lindon (les dentelles, tout ça).
Musicalement, les productions de Mai Mai Mai s’inscrivent dans une narration rugueuse. C’est bien ce que nous apprennent certains périples. Ils édifient l’individu. L’Odyssée se conçoit ainsi. Élargissons. Pourquoi les Grecs ont-ils inventé la philosophie ? Loin de tout mysticisme simpliste, l’Italien ose se placer sous l’égide de Pythagore. Fondateur de l’école de Crotone, lieu de naissance du compositeur, le mathématicien et penseur demeure une figure mystérieuse qui, il y a 25 siècles, a fait basculer le mode de pensée grec du religieux au rationnel. Quel gros mot… la raison…
Cette tutelle est renforcée par les choix photographiques qui ont présidé à l’élaboration de l’artwork : Delphes. Pourquoi y aurait-il une logique plus complexe que la simple filiation grecque? Parce que le temple d’Apollon a été choisi, avec celui d’Athéna, et que, légendairement, Pythagore a été placé sous l’ascendance du dieu du Soleil et des Arts. À ce stade, et s’il y a encore des raisons (au pluriel, c’est pire) de sauver ce monde, on pourra se dire que certains parcours musicaux lui arrachent un peu de beauté.
Croisant l’efficacité d’un Asolaar ou d’un Empty Pattern et une démarche le rapprochant de l’ethnomusicologie (Cf. archives sonores du CREM), on lui trouve décidément beaucoup de points communs avec cet opus isolé sorti en 2014 sur le sous-label de Berceuse Héroïque, ΚΕΜΑΛ, ANAΣΤΕΝΑΡΙΑ – Music Of The Fire Walkers.
En effet, comment ne pas mettre en perspective ces chants traditionnels grecs notamment réappropriés et distordus par les remixes de Vatican Shadow ou de Peter Swanson (ex-Yellow Swans) avec la combinaison effectuée par Toni Cutrone entre des chants de pêcheurs siciliens (Cf. Nuktepolois) ou de villageois de l’Épire (Cf. Lenais) un empilement de nappes noise qu’il se plaît à décliner. Est à noté l’apport notable d’une coloration avant-folk en la personne de Luca Venitucci et son jeu d’accordéon (Cf. notamment le morceau Nuktipolois). Son intervention apporte tout autant une singularité rarement présente dans les productions électroniques et une identité italienne plus marquée.
L’ensemble est donc personnel. Il ne plaira pas à tout le monde. Mais il a un sens profond. Le Monde peut-il se prévaloir d’en avoir encore un, lui ?