Comme beaucoup de mecs qui sévissent aujourd’hui dans la musique industrielle, le drone ou l’ambient, Jim Mroz a fait ses premières armes dans les bas fonds du metal confidentiel. Aujourd’hui littéralement et très justement adulé par bon nombre de webzines anglophones importants, il fait le bonheur du très très hype label Hospital Productions, qui abrite très régulièrement les délires et digressions de son propriétaire schizophrèhe : un certain Dominick Fernow. Sorti il y a deux ans, son American Babylon avait foutu une mornifle de déménageur à tous les férus d’indus « coilesque », résolument downtempo, mais aussi tellurique que surpuissant. A l’heure où un paquet d’indés sont pleinement décomplexés à l’idée de faire du neuf avec du vieux, à pisser sur la tombe de leurs pères sans se préoccuper de la sacrosainte modernité, Industriale Illuminato fut attendu avec une ferveur certaine. Avant d’en causer, revenons sur un des plus beaux et plus rugueux morceaux d’American Babylon, ainsi que sur sa fermeture d’exception.
En ces temps particulièrement troublés où il est de bon ton de chercher l’illuminati partout (même là où il n’y en a pas), Lussuria, bien loin de ces préoccupations de complotistes français, diffuse une musique « reptilienne » à souhait, qu’on pourrait croire toute droit sortie d’une société secrète où des encapuchonnés célébreraient la gloire de John Balance et Peter Christopherson.
Il y a parfois des disques dont pratiquement tous les éléments et procédés contenus en leurs seins semblent prévus pour nous les faire détester. Quand la bonne surprise est là, et là elle y est, elle ne peut se révéler que plus que délicieuse. Et pourtant, les rythmiques martiales primitives et moribondes, les déclamations haletantes couvrant des interludes longs comme Ian Scott, la dominante lo-fi et les captations sur de vieilles cassettes pourries, bah c’est clairement pas mon truc. Pour le cas de Lussuria, même si t’as l’impression d’avoir à faire à un branleur complètement désinvolte qui gesticule trois bouts de ficelle, c’est si radical dans la démarche et tellement bien pensé que ça glisse comme dans l’aquaboulevard de Thanatos.
Pour lui trouver des différences avec American Babylon, on dira qu’il est sans doute un peu plus « adouci », même si les ambiances dévastées et les territoires arides qu’il dévoile ne sont pas recommandé aux sujets aux crises d’angoisse et à la suffocation chronique. Aussi, constatons la recrudescence des synthés béotiens (BOCiens ça marche aussi à ce qu’il paraît, surtout pour le très fantômatique et surprenant Breath of Cinder) contenu dans l’ouverture magistrale de son opus aîné (Keys to Unlock Paradise).
Sur Petra Marina, où Mroz démontre encore qu’il est un maître boucher pour ce qui est de l’overdubbing, les synthés cités préparent à merveille un très simple mais très efficace rouleau compresseur rythmique. Avec ses airs de pas y toucher, c’est le titre qui expose parfaitement tout ce qui fait l’excellence de Lussuria. Glorieuse hypnose, avec si peu de choses, et fins de morceaux grandioses avec effets émoussés et larsens venus d’ailleurs. Le genre de titres qui te prépare la luette pour digérer un Venus in Retrograde dévastateur.
Malgré sa bien trop courte durée, Daughters of Ennemies devrait faire le bonheur des férus de distorsion radioactive. Eyes of the World, où l’apologie des anxiogènes mystères où il fait bon se perdre, avec ce minimalisme rythmique irrésistible (frappes sourdes répétitives et mécanismes grinçants). Je ne suis pas un client des reviews « track by track » mais le tracklisting est tellement cohérent et intelligent que je pourrais presque me risquer à l’embardée. Bref, Angelshare, Wind Carries Soot et Art of Veins sont tout aussi excellents et complémentaires, célébrant certes un peu plus les ambiances saturées et cafardeuses, où des pierres poreuses d’un sous-sol humide semblent chuchoter à l’auditeur la source des rivières pourpres et les clés de son histoire tourmentée.
Je pense que pour ce genre de disques, Fernow devrait imiter ses potes Nico Vascellari et Carlos Casas de chez VON, et snober le format digital. Pas par suffisance, juste parce que ce genre de musique extrêmement compressée ne sied pas du tout au format mp3. Sur plaque, on profite autrement mieux des variations d’intensité et de la chaleur des graves. Deux éléments qui font tout le sel du son de Lussuria.
Toujours est il que si moins puissant et surprenant (au sens surprise passée) qu’American Babylon, Industriale Illuminato s’élève aux côtés de certains travaux de Croation Amor (dont je n’ai pas eu le temps de parler) comme une des oeuvres électroniques les plus pertinentes et addictives de l’année. Sur Boomkat le LP se vend comme des petits pains, attention à la très rapide pénurie à venir.