En moins d’une décennie, l’italien Lucy (Luca Mortellaro) est devenu une valeur sûre, aussi bien reconnue pour son incontestable talent que pour son melon arty ne passant plus les portes. Il laisse derrière lui une palanquée de formats courts calibrés pour les dancefloors, deux albums presque unanimement salués, et surtout une institution qui a toujours le vent en poupe dans un milieu techno où tout va bien trop vite : Stroboscopic Artefacts. Il y publiait le mois dernier son troisième album, le surprenant et particulièrement attendu Self Mythology.
Sans pour autant se révéler tel un pur plaidoyer en faveur du yoga, de la méditation et des décoctions de thé matcha, Lucy nous informe gentiment qu’il est désormais connecté au cosmos, à l’écoute de son corps, féru de percussions asiatiques et de salutations matinales au soleil juste après avoir fait popo. Mais trêve de médisances à peine voilées, l’album du jour se situe fort heureusement à l’ombre de ces faciles clichés.
Self Mythology est une oeuvre résolument hypnotique et psychédélique (même si ce terme est plus que jamais galvaudé), extrêmement bien produite et exécutée, même s’il lui arrive de se prendre un peu les pieds dans l’écueil de la retranscription sonore d’un voyage initiatique un rien nombriliste et prétentieux.
Là où l’italien réussit clairement son pari est à situer dans sa capacité à sublimer l’exercice difficile de la spatialisation, et à fortiori de la perpétuelle circulation du souffle et des énergies. Ses références mythologiques, occidentales ou plus exotiques, sont parfaitement servies par les apparitions de la voix et de l’étrange flûte de Jon Jacobs. Quand ça marche, et autant le dire ça marche souvent tellement bien que ça peut même en devenir obsédant, le strict contenu parvient à effacer des intitulés de tracks qui touchent les sommets de la posture onanique.
Autant Dissonance Emancipation et Vibrations of a Circular Membrane sont absolument excellents, autant la vaseuse IDM boursoufflée de Meeting with Remarkable Entities est presque autant dispensable que le dérapage incontrôlé (et quasi post-colonialiste) de A Millenia Old Adversary ou que l’incompréhensible plantage final de vague synthèse en spirale (Canticle of Creatures). Sans pour autant l’associer à de franches critique similaires, A Selfless Act et son très fort potentiel auraient mérité à mon sens d’être développés plus longuement. Même après un nombre important d’écoutes, je ne parviens pas à savoir si la guitare qu’on y rencontre est juste parfaite ou si elle ne sert absolument à rien.
Fort heureusement, on peut ajouter au moins deux titres aux totales réussites préalablement citées. Baba Yaga’s Hut, titre d’ouverture qui pose d’emblée la récente conversion de Lucy à un tribalisme finalement tout sauf vain. Et Samsarra, fresque troublante de maîtrise technique et narrative, où des textures (probablement échantillonnées) qui doivent autant au vent qu’au cuivre se révèlent comme du plus bel effet.
Bien loi des associations faciles avec le chill out et la musique électronique pour dandy en errance à la biocoop, Self Mythology s’élève comme un album légèrement inégal mais particulièrement courageux. On aurait même pu l’affubler de panache si Lucy avait fait le choix de le sortir sous un autre avatar, en sous-marin, et peut-être même sur un autre label que le sien. Qui sait alors, comment les critiques et les fanboys auraient pu l’envisager.