Nos lecteurs avisés sont supposés se souvenir de Katie English, qui avait illuminé l’année dernière (sous son projet personnel Isnaj Dui) avec un Abstracts On Solitude de toute beauté. Elle rejoint cette fois-ci son compère Chris Gowers (Karina ESP) pour former Lowered, duo qui délaisse temporairement ses appétits de superbe joueuse de dulcimer. Lost Seas est la première réalisation au format vinyle du label britannique pour esthètes Hibernate, dont on fait l’éloge très régulièrement ici.
Capté entre les plages de Brighton et une Union Chapel anormalement vide, Lost Seas brille avant tout par le contraste propre à ses différents lieux et méthodes d’enregistrements. Je ne vais bien sûr pas aborder l’intelligence dans le placement des micros ni faire l’apologie des réverbérations naturelles. L’écoute est suffisante pour constater la complémentarité évidente des différentes couches. Et tout ça, sans le moindre apport digital. Outre la somme forcément importante de field recordings, on retrouve des instruments nobles, mais finalement assez communs à ce genre de compositions (violoncelles, piano). Rafraîchissante est donc l’intégration d’éléments un peu plus surprenants, comme la clarinette, les cymbales ou le gong. Brillante avant tout parce qu’elle est issue de séances semi-improvisées et parce qu’elle est troublante d’humilité et de dépouillement, cette oeuvre entretient en plus un lien étroit avec la mer. Avec l’absence et l’attente aussi. Sans oublier le probable salut à la nostalgie d’une certaine lenteur, dans un monde qui se brûle dans l’âtre de l’immédiateté.
Avant de parvenir sur les grands bancs, les vieux loups de mer et leurs plus jeunes compagnons de misère doivent se frayer un chemin dans la brume, au milieu des icebergs, des lames de fonds et des vieux ferrys qui croisent leur route. Les tapis de violoncelles, la plupart du temps joués en drone, jouent cette petite musique enveloppante et chaleureuse, qui rassure et rappelle un peu la terre ferme : la Cornouaille natale, son clocher non loin du bastringue, le café fraîchement torréfié, les draps propres et les dentelles. Devant son verre de tafia, le marin regarde une pas si vielle photo prise lors d’un été forcément trop court avant le départ en campagne. L’écume l’a déjà pourrie. Dans le creux de la vague, il contemple l’ombre d’une mère qui a voulu le retenir. « Reste à terre, on te trouvera bien une grosse et riche fermière » chuchote-t-elle.
Le piano, le roulis et le ressac frappant la coque, installent encore mieux ces sanglots longs des violoncelles de l’automne, blessant le coeur du marin d’une langueur monotone (wesh Verlaine). Longue, lente et périlleuse est la traversée. Mais rares sont les natifs de la berge à ne pas répondre à l’adultère. L’appel des embruns, celui de la mère bergère. A défaut d’autre chose il pense à l’escale, plus à la moitié du chemin qu’aux femmes à tout le monde. Il rêve à l’été prochain et à son bal, aux jeunes vins qu’on déguste en racontant son périple aux jolies blondes. Il n’entend même pas les frappes discrètes mais sourdes du branle-bas. Il guette dans les vents les parfums du retour, cherche dans la plainte des cordes le timbre de son prochain amour.
Uniquement disponible en vinyle, Lost Seas n’a a mon sens pas grand intérêt en mp3. Proche cette fois-ci de l’esthétique de Fluid Audio et donc de leurs productions, Hibernate transforme brillamment l’essai vers le micro-sillon.