Soyons clairs d’entrée de jeu, depuis sa création en 2011, le label parisien Dement3d Records est sans doute l’une des meilleures choses qui soient arrivées à la Techno française depuis la fondation de Deeply Rooted House en 2003 par DJ Deep. Tant que nous y sommes, nous pourrions également citer la récente et convaincante initiative Taapion Records qui peut compter sur de solides nouveaux venus tels que Shlømo, Antigone ou encore Roman Poncet. Vous qui notez tout dans vos petits moleskines écornées, nous vous conseillons fortement d’aller jeter un œil aux deux sorties du label et plus particulièrement la seconde, Various Artists, la remarque est faite, faîtes-en ce que bon vous semble.
Revenons au sujet de l’émoi de ce mois Juillet 2014, centre des conciliabules nocturnes parisiens, Dement3d Records. Effronté et visionnaire, le label fondé par Heartbeat et François X frappe sans sourciller, dardant à la pointe du diamant les oreilles de tout auditeur prêt à accueillir ses versets électroniques, libérés de leur corsage, agréablement subversifs et proches de l’expérimentation Techno \ Deep Techno. Pour introduction au périple de l’entité, il y eut tout d’abord les élucubrations Drone \ Deep Techno Discordance – EP, œuvre du quintet DSCRD, analogue freaks et auteurs d’imposants live machine. Puis, après un teasing réussi, arrivèrent deux releases successives du duo Polar Inertia – entité plurielle aux contours mouvants. Pour mieux cerner le concept, citons leur biographie RA: “We are no one because we want to be no one, And to be no one we have to be everywhere and nowhere”. Je dois l’admettre, je voue une admiration sans borne aux travaux du collectif, au point d’avoir développé un pernicieux fétichisme ayant pour objet leurs vinyles. En toute subjectivité, Black Sun et Major Axis sont certainement les deux meilleures tracks de Techno française sorties ces 10 dernières années, au même titre que Indirect Light – EP et The Last Vehicle – EP sont deux des meilleures Techno releases françaises sorties ces 10 dernières années. Nous pourrions également évoquer leur excellente apparition sur la compilation Black Ideal sortie sur Unknown Precept – compilation chroniquée ici. Mais trêve de louanges, continuons la visite si vous le voulez bien.
S’ensuivirent deux EPs de remixes – DSCRD Remixes – EP et Polar Inertia Remixed – desquels nous retiendrons de belles réussites mais aussi et bien malheureusement une sérieuse prévisibilité. Ne crachons pas dans la soupe néanmoins ; certains de ces remixes valaient clairement le détour. On pense notamment à L’envers Des Clés revue par Lucy ou encore Black Sun remixée par Abdulla Rashim. Nous passerons brièvement sur les décevantes DM3D006 (Hiss : 1292) et DM3D007 (DSCRD) qui sans vraiment être médiocres montraient un certain relâchement dans l’extrême soin d’habitude apporté au choix des releases du label. Qu’importe finalement puisque peu de temps après cela arrivait un François X remonté comme on l’aime – grand habitué des clubs parisiens et de la Concrete en particulier, auteur de certains des DJ sets les plus radicaux et qualitatifs entendus sur la barge camée – avec son Suspended In A Stasis Field. Rien d’exceptionnel nous fera-t-on remarquer à juste titre mais la propreté de la production et la minutie du mastering permirent à la plupart des tracks d’être playlistées par bon nombre de tripoteur de faders plus que respectables. Vous excuserez, chers lecteurs, la longueur de l’introduction, ici largement boursoufflée par le respect que je porte à ce label, à sa vision, espérons-le, prophétique.
Venons-en au fait, à l’heure de la 9ème sortie, dire que nous étions sur le qui-vive serait une litote. C’est donc avec un plaisir proche de la perversion que nous accueillions le double LP nommé Dilip EP And Remixes, œuvre d’un duo Franco – Belge, Ligovskoï soient Nikolaï Azonov et Valerio Selig. Relativement méconnu, le duo semble pourtant déjà bénéficier d’un nom, d’un certain écho dans le milieu de l’Ambient \ Drone grâce, notamment, à leurs performances live remarquées – cf. l’ouverture du showcase Dement3d, le 21 Juin dernier au Grand Palais dont on nous a dit le plus grand bien. Qu’importe d’ailleurs leur renom, car il est assez aisé à l’écoute du LP de reconnaître la maitrise du duo. Penchons-nous donc sur le contenu de ce double LP.
Pour peu que je me souvienne, je ne crois pas avoir déjà rencontré de LP supposément Ambient offrir tant de latitude à la Techno, ni inversement d’ailleurs. Rien que pour cela, cette 9ème sortie méritait que nous nous y intéressions. Sont ici présentées 4 excursions Ambient \ Drone d’excellent aloi suivies 4 remixes non moins réussis. A y regarder de plus près, il pourrait bien s’agir de la meilleure sortie du label à ce jour – hormis celles de Polar Inertia, bien entendu –, à la fois parce que celle-ci s’écarte ostensiblement de ce que le label a sorti jusqu’à présent mais aussi par l’impression de satiété languide que nous a procuré l’écoute du LP en question. En réalité, la première seconde de Labiate, ouverture du flux artériel, sonne le début de l’hibernation. Un torrent de soie, vermillon, se déverse en gouttes éparses sur les neiges éternelles du Montparnasse. Quelques éclats stellaires épars, quelques notes de piano, des résonnances métalliques soigneusement étirées viennent contenir la grisaille ambiante. Nous retrouvons cette même sensation de clair-obscur sur Goha, que le temps semble progressivement faner. En effet, l’amertume de la conclusion n’a plus grand chose à voir avec la liesse fragile du début de la track. Parmi ces développements ambiants, et malgré leur habileté commune, la track éponyme, Dilip, se démarque assez nettement du lot grâce au travail d’orfèvre du duo. Tout d’abord sur les textures, un fin crachin numérique, constant mais dont les ondulations discrètes donnent l’impression qu’il est animé d’un souffle vital. Mais aussi par son pouvoir évocateur. La track, particulièrement propice à une rêverie débridée, nous invite à l’égarement. Elle nous guide vers d’étranges visions, celle d’un jeune homme soliloquant, nonchalamment étendu sur un canapé d’argon, celle d’une femme à la nudité de galet tissant une forêt de conifères au clair de Terre.
Ne nous arrêtons pas en si bon chemin, le meilleur est à venir. De prime abord et ce sans même avoir la moindre idée de ce qui est sur le point de se passer, nous pouvons d’ores et déjà saluer le fin travail de sélection des remixers, le vétéran d’In Aeternam Vale, Abdulla Rashim et les duos formés pour l’occasion, Antigone x François X et Heartbeat x Voiski. Dès les premières secondes du remix de G.Y., nous savons déjà qu’il n’y aura pas de faux pas. In Aeternam Vale (aka Laurent Prot), récemment ressuscité grâce à l’initiative classe et rétro de Minimal Wave, retranscrit habilement la pesanteur du morceau d’origine, l’épaissit grâce à un low pitch étouffant qu’il confrontera à la soustraction du 2ème et 4ème kick du schéma 4×4 procurant un étonnant équilibre entre légèreté percussive et nappe synthétique oppressante. Le soudscaping y est abrasif et crépusculaire à souhait – nouvel aveu de son incroyable maitrise des claviers –, juste ce qu’il faut pour que nous nous en goinfrions sans retenue. Abdulla Rashim vient, lui, esquisser un concerto de bulles et percussions aqueuses sur ondes et échos marins. Une parenthèse agréable et relaxante mais finalement assez paresseuse de la part du boss de Northern Electronics. Antigone et François X signent le tool du LP – il en fallait bien un –, avec un remix Dub Techno copieux qui n’excelle ni ne déçoit. Enfin, vient le tour du boss du label lui-même et de Voiski d’offrir leur réinterprétation de Goha. Les mots me manquent presque pour épingler ce qui fait de ce remix ce qu’il est, une magistrale branlée, une leçon d’Ambient \ Techno en somme. Peut-être est-ce le scintillement intermittent des nappes, les lueurs fugaces, reflets de fer blanc au jour naissant ? Ou peut-être est-ce l’incroyable scansion tribale, la complexité des percs, leur mastering rond et pourtant incisif ? Je ne prétends pas avoir la réponse à ces questions, toujours est-il que ce Goha (HBTVSK Remix) s’écoute et se lit comme une véritable épopée les pieds cloués au sol, aride et craquelé et raclant la voûte céleste du bout des ongles.
Chers lecteurs, chères lectrices, vous l’aurez compris, il s’agit ici de l’une des plus audacieuses entreprises de l’année pour Dement3d Records. Espérons qu’ils trahissent mes propos prochainement, espérons-le, silencieusement dans l’intimité de nos boudoirs ou revendiquons-le bruyamment dans la douce mélasse des nuits parisiennes.