Le duo Liberez, que forment John Hannon et Tom James Scott, s’est véritablement révélé il y a trois ans avec un All Tense Now Lax (ici) de toute beauté. Energie noise rock, sonorités post-industrielles, ambiance d’émeute généralisée abolissant les frontières territoriales et du langage, bref, un feu grégeois pour l’esprit et le corps. Comme à l’accoutumée, une nouvelle fournée paraît dans un silence qui pose question. Ils reviennent pourtant chez une maison qu’ils connaissent bien, puisqu’ils y avaient déjà posé les bagages en 2011 avec The Letter : le label ALTER de Helm.

Accompagné de nouveaux membres, le groupe a vraisemblablement décidé d’exacerber sa versatilité rythmique. La remarquable et vivement remarquée empreinte flamenco est cette fois encore plus poussée, en amplifiant les frappes manuelles et pédestres propres à cette musique dans leurs anarchiques mais qualitatives compositions, où les climax jaillissent presque toujours par surprise.
Pour varier les plaisirs et aussi pour coller au mieux à leur philosophie internationaliste, leur riot « swansien » se voit enrichi de sonorités balkaniques, qui galvanisent encore un peu plus ce marasme dissonant mais parfaitement organisé. Dans un souci de cohérence conceptuelle, le spoken word et les samples vocaux qu’on leur connait sont cette fois-ci en langue basque, en italien, en hongrois et en vieux russe. Ceci pour souligner, vous l’aurez compris, des luttes modérées, dociles et pacifiques.
Instruments à vents, pianos, cordes et crins, drumkit, électr(on)ifiés ou non, se tirent la bourre comme des chevaux de trait sous amphétamines. Et si le mix est parfois, ne le cachons pas, réalisé à la truelle et au marteau, l’ensemble est un peu cradingue mais cohérent avec le projet, et surtout, ne casse pas ce qui est la véritable force du groupe : la dynamique en improbable crescendo.
Si sur l’album précédent, des titres comme Grease The Axles et Grateful Family pouvaient faire office de « tubes » immédiats et frontaux, le parti ici pris est autrement plus subtil et moins « forain ». Ce qui n’empêche pas les incontestables sombres joyaux M’aidez, Here is the Proof, Forget So That You May Be Forgotten, Derelict Intentions et Cara En La Foto, Part 2 de résonner comme abrasivement savoureux.
Sans surprise, Way Through Vulnerability est une poutrasse qui devrait marquer. La bande originale parfaite pour donner le change à la bourse, exproprier les agences immobilières et clouer au pilori les pittoresques. Jouir dans les cendres du vieux monde avec l’ivresse et la colère pour maîtresses jusque dans la veine, sans se tromper de flamme. Juste pour redonner ses lettres de noblesse à la radicalité. Et trouver ça beau et légitime, sans culpabiliser.