Formé à Richmond en 1992, le trio Labradford est articulé autour de Mark Nelson (guitares et voix), Carter Brown (claviériste) et Robert Donne (basse). Leur indispensable premier album, Prazision, est par ailleurs la première sortie du légendaire et intarissable label Kranky. Si la presse a trop rapidement accolé au groupe une étiquette « space rock » à l’heure où elle spéculait autour de la paternité du « post-rock », j’y vois pour ma part une tentative opportuniste de galvauder ce que le trio a réellement créé. Mon emphase totale irait même jusqu’à dire qu’il a changé l’image du rock à tout jamais.
L’émotion est toujours aussi vive 25 ans plus tard. Comment trois nerds pareils, influencés certes par Talk Talk, ont pu réformer une musique réputée inébranlable en l’amputant d’au moins trois de ses socles : la batterie, le pont et le refrain ? Dans leur discographie de six pièces, je retiens surtout Prazision (1993) et l’éponyme (1996), auquel j’ajoute Mi Media Naranja. Parce qu’il signe un tournant dans le parcours du groupe en ouvrant plus concrètement la voie à des instruments additionnels (violons et pianos électriques principalement) et en s’offrant le luxe de témoigner d’au moins autant d’émotions avec une économie vocale. Et surtout parce que cet album fête ses 20 ans cette semaine, et qu’il continue d’irriguer les déserts où l’ombre traîne.
Cet album illustre l’histoire d’un groupe parti très loin dans un autre monde. Revenu sur terre pour livrer tendresse à ceux qui n’ont pas perdu l’énergie de la contemplation du silence. Qui n’ont pas renoncé à ce qui en jaillirait. Un lent western pacifique où les pistoleros ont perdu le langage, et où le verbe s’est évaporé dans le noir et blanc des initiales.
Ici dévoilée l’organique beauté d’un monde presque dépourvu d’humanité. Où la désertification n’a pas annulé la vie mais corrigé les aspérités. A bord d’une vieille Chevrolet, on traverse en première les grands espaces du futur jusqu’à en cartographier les ravins. Juste pour voir si l’humain a encore sa place au générique de fin.
Mi Media Naranja est un onguent amniotique à écouter peu avant la mort. Signé du V de la victoire gravé en lettres d’or, pour célébrer la naissance d’une nouvelle ère et réciter l’oraison funèbre d’une zone en guerre. Mi Media Naranja est surtout une oeuvre où le verbe apprend à se taire.
Une seule moitié d’orange pour portionner l’amertume, exhaler les vestiges des enfants que nous fûmes. Mi Media Naranja est tout un monde d’émotions englouties. La terre promise est-ce que c’est ici ?