Vous qui parcourez les lignes de ce site à la réputation acerbe, vous savez bien que le chauvinisme n’est pas mon premier défaut. Et pourtant, je scrute l’actualité de David Letellier (Kangding Ray) avec ferveur et appétit. L’architecte de formation a trouvé un point d’ancrage durable et cohérent à Berlin et dans les rangs de raster-noton, label référence qui installe les artistes dans le temps et accepte leurs mutations.
Le downtempo et les brumisations glitchy, fondus dans les plis d’un délicieux automne ont fait leur office. Vint plus tard une proposition d’alternative dorée, dont le souci du détail donnait à son minerai noble de base une dimension aussi éternelle que sculpturale. Un flirt récent, court, mais important du côté de chez Stroboscopic Artefacts, laissait présager à nouveau de quelque chose de neuf. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Si Kangding Ray a l’obsession du renouvellement de ses palettes, c’est pour toujours mieux redéfinir les contours d’une techno (ou des musiques électroniques en général) à l’abri des bêtes, méchantes et kilométriques additions kick/snare et de l’obsolesence programmée d’une techno industrielle addictive mais très à la mode. Bien plus frontal et monolithique que ses oeuvres passées, Solens Arc vient de sortir et répond avec maestria aux promesses présagées.
Selon Kangding Ray lui-même, Solens Arc illustre le magnifique envol d’un projectile non identifié. Au gré des écoutes du dit album, et malgré tout le respect qu’on doit à son auteur, il serait plus pertinent de parler d’ une émancipation, touchée malgré tout par une certaine violence.
Serendipity March. Les mâchoires industrielles de la matrice acceptent de libérer une comète qu’elle conditionnait depuis trop longtemps. A l’heure de l’émancipation, il n’est pas question de laisser d’éléments notoires sur son futur point de chute. S’échappent malgré elle des signaux abstraits, maculant les cieux de tracées indélébiles, d’arpèges mélodiques épars qui se désagrègent, quasiment « pop », de boucles rythmiques lourdes qui prennent du galbe au fur et à mesure que le projectile prend de la hauteur. Dans son inexorable ascension, elle ne s’aperçoit même pas qu’elle dissémine des bouts d’elle-même aux profondeurs infinies. Comme une mise en abyme inconsciente, puisant dans les séquelles du monde abandonné en-dessous la force d’en revenir. Certaines libérations ne se font jamais sans dommages collatéraux, encore moins sans la peur de prétendre enfin à une véritable mise sur orbite.
Soyons fous, et dotons cette comète d’une (in)conscience. Celle de penser que son émancipation ne génère rien d’irréversible. Tout semble connecté malgré les vaines tentatives de parallélisation des lignes. La collision est irrémédiable, tout comme la modification des espaces, du temps et de la représentation du futur. La matrice s’est modifiée, en un instant ou presque, redéfinissant à jamais la notion même de parcours et de trajectoire. Analogiquement vôtre, ton conditionnement n’est pas le nôtre.
Amber Decay. Blank Empire. History Of Obscurity. Trois pavés aux kicks et aux graves de brutes, intimement liés par leur rampes de lancement plus courtes mais essentielles. Peut-on parler de techno convective ? Thésée sera-t-il réellement libéré de l’enfer s’il coupe le fil d’Ariane ? Le chaos, n’est-ce pas le plat et l’immobilisme ? Peut-on échapper à l’un (ou à l’autre) et pour ça, pouvons nous apprendre à voler ? Nous brûlerons-nous les ailes à force de vouloir tutoyer le soleil ? Vouloir vivre ses rêves de liberté, est-ce accepter d’être Icare sans en épouser le funeste destin ? Ou pire, doit-on geler ces mêmes rêves pour ne pas s’y noyer. Plutôt crever que de crever. Plutôt mourir que de ne pas vivre. La comète s’en branle. Elle ne se pose pas toutes ces questions à la con. Elle est impossible à suivre, pas même dans ses pointillés. Pourtant derrière elle et son écume nous courrons, jusqu’à ce qu’elle touche terre en gardant ses grands yeux tournés vers son point d’origine : le ciel.
Solens Arc et ses trajectoires hurlantes ont vidé les tranchées des villes pour nous comme autant de chemins de traverse. Ils en ont fait des fleuves de feu. Entre assemblages et déconstructions, deuil de la contextualisation, points d’impacts et explosions, le silence lui même pourrait en avoir oublié son nom. On retiendra néanmoins celui d’un architecte, un français, qui sculptait le ciel comme un muscle, le magma du chaos à partir d’une inévitable et salvatrice collision. Clubber d’un jour, digger de toujours en quête de transe, contemplative à la tête plantée dans le ciel qui cherche la lumière pour se soustraire à l’errance, n’oublie surtout pas pourquoi tu danses…