Son passé en tant que claviériste de Cop Shoot Cop semble désormais bien lointain. L’avancée est surprenante, la rupture évidente. Après de multiples collaborations, dont le projet Here avec le compositeur italien Teho Teardo, Jim Coleman sort à ce jour son premier album sous son propre nom et label Wax & Wane.
Se défaire des pseudonymes est rarement une chose totalement anodine. Au-delà du simple mûrissement, peut-être faut-il y voir la preuve d’avoir trouvé ce que qu’on ne faisait qu’attendre. Ce qui faisait défaut. C’est ainsi dans une composition d’instruments classiques, de bourdons électroniques et de manipulations plus expérimentales que les racines sans âge de Trees ont choisi de s’étirer inexorablement et de pénétrer lentement l’étrangeté des terrains.
Dix mouvements qui sont autant de pistes et de chemins à emprunter. Pas d’indications ni de directions, car ici, les paysages sont transitoires et les vérités provisoires. Il y a de l’indétermination dans ce disque, quelque chose comme une atmosphère changeante, un environnement qui se dérobe. Pour autant, Trees apaise autant qu’il intrigue. La nature est fugitive mais enveloppante, parfois presque sécurisante. Elle emporte dans sa mouvance lénifiante le lent mais continuel mouvement de l’eau, de ce qui germe et s’accroît. Pour nous apprendre, peut-être, à accepter l’insaisissable, le temps, et toutes ces choses sur lesquelles aucune prise n’est réalisable.
Sideways conduit ses cordes incisives, quelques percussions, et une rythmique qui nous plonge directement dans une présence dense et végétale, avant qu’Under Current ne tente d’introduire une accalmie. Juste sous le courant, les muscles s’ankylosent, et on laisse filer, on attend, embué dans la gravité solennelle des cordes qui nous maintiennent en retrait. C’est une attente de tout et de rien, on ne sait plus trop. Observer, de loin, la circulation, leurs effusions. Là où ils pensent aller. On patiente, on s’alimente. D’un bout de chagrin, de l’orée d’une envie, de gouttes qui carillonnent sur l’eau.
Tels des branchages entrelacés, les cordes se mêlent au piano, aux percussions, aux instruments à vent pour ainsi donner vie à un dédale forestier passionnant. Fort de son passé, Jim Coleman nourrit cet album franchement cinématographique d’influences variées, et n’hésite pas à le refermer sur une touche prononcée de jazz sur le morceau Rain.
Dans cette variation d’instruments et d’explorations électroniques auxquelles se mêlent parfois des voix (des plaintes, devrait-on dire plutôt) telles que celles chantant le vide et l‘inquiétude sur Dawn. Les paysages traversés sont alors désolés, mystérieux, et ce sont les souffles de bêtes curieuses qu’on entend passer à travers des branchages asséchés. Dans le balancement d’un clavier, la répétition appuyée se fait le berceau d’une folie qui se terre sous les branchages, sans jamais passer à découvert. La menace est ici souterraine, et ne laisse filtrer à la surface que ses sous-fifres de l’instable.
Franchement cinématographique, la musique de Jim Coleman transporte, inquiète parfois, au fil d’une progression sans rupture, mais changeante, dans les méandres du végétal.