Il avait déjà été question ici même de James Murray en 2012. Après un When Edges Meet remarqué, sans trop s’éloigner de la référence française downtempo/ambient Ultimae, le britannique créait sa propre structure : Slowcraft Records. Choix courageux quand on connait l’aura dont jouit la maison lyonnaise à travers le monde, mais certaines volontés d’indépendance ne s’attardent pas à ce genre de considérations. Pressé en CD-R, « packagé » à la main et avec quelques tampons, Floods fut salué l’année dernière par tout ce que la planète ambient compte comme oreilles éclairées. Avec quelques sous en plus dans les poches, en cohérence totale avec ses travaux précédents (autant sur le plan musical que visuel), James Murray a sorti The Land Bridge en juillet dernier. Avec toujours cette même volonté de faire mieux avec moins (n’est-ce pas ce qu’on appelle le minimalisme ?), avec ce même attrait pour le « handmade », mais cette fois-ci dans un format CD tout ce qu’il y a de plus qualitatif.
Véritable pinacle musical où la volupté et la béatitude sont les vestales du temple, The Land Bridge résonne en ces temps de crise comme un havre de sérénité. A l’heure où le monde libre (ironie inside) s’apprête peut-être à rentrer en guerre pour remplacer une tyrannie par une autre sous couvert de l’inamovible et sacrosainte conversion démocratique, ceux pour qui la désertion et la liberté ont bien trop de charme peuvent répondre à l’appel d’un ailleurs avec pour but de se perdre. Là où le temps est suspendu de chaque côté de la rive, où ceux qui attendent le passage s’abreuvent aux rivières de lait et de miel plutôt qu’à des torrents de merde.
Alors oui, ceux qui à défaut de voir clair voient clairement les aspérités, ils vont gueuler au trop plein de facile beauté, au carillonnement émotionnel intempestif, au caractère trop solennel des orgues, des choeurs angéliques et des pianos indolents. On ne pourra leur en vouloir, car The Land Bridge se destine bel et bien aux contemplatifs optimistes face à l’aujourd’hui qui déchante. Il y en aura d’autres pour constater que dans un genre (l’ambient) où des tonnes de sorties tentent de témoigner de quelque chose de similaire, celle-ci peut prétendre à la réussite et à la maîtrise totale. Le mix relève de l’orfèvrerie, les réverbérations sont implacables, l’intégration sporadique de la guitare est d’une simple intelligence à s’en damner. Entre deux percussions cristallines venues d’ailleurs, l’entremêlement électro-acoustique laisse exhaler le parfum des houris. De quoi croire en un envoyé du paradis sur terre, pour faire de la terre un paradis.
Comme sur Floods, l’album du jour contient un titre phare. C’est ici l’hyper texturé et plein de contraste Small Gestures, dont l’issue tout en grave est absolument magnifique. Mais il contient lui aussi un titre qui laisse entrevoir une certaine part de « sombritude » et de doute. Sur le non moins superbe Give Blood, un souffle presque félin vient troubler la sérénité globale pour attester que ce certes très joli album a presque autant du purgatoire que du refrigerium, de l’ambivalente épitaphe que de la classique élégie.
Sans surprise (pour qui suit le britannique depuis longtemps), en toute indépendance, James Murray installe The Land Bridge comme un des poids lourds ambient de cette année. Tous les paradis ne sont pas faits pour être perdu. A bon entendeur, salut.