Si Glimmer avait révélé à beaucoup les exceptionnels talents de composition de ce Max Richter baroque et jusqu’auboutiste dans son traitement des textures, rappelons malgré tout que le polonais Jacaszek n’a pas attendu son bestseller pour réaliser de très grands disques. Pentral, et surtout Treny (Miasmah) continue d’alimenter en douces lamentations les nuits fiévreuses de bien des romantiques lunaires. Salué aussi bien par le public que par l’inteligencia du renouveau classique, le polonais continue pourtant de travailler dans une humble discrétion et donc, à fortiori, à l’abri de toutes les hystéries promptes à saluer les vaines tentatives de vulgarisation. On ne trouve dans la presse (virtuelle et écrite) que peu de lignes annonçant la parution d’un nouveau disque. Peut-être est-ce parce qu’il recueille des oeuvres anciennes et « commandées », qui sont en fait des relectures assez osées de chants religieux plus ou moins connus. Ou peut-être aussi parce que le Centre National Culturel Polonais n’a pas la force de frappe d’un Ghostly International pour ce qui est de la communication et de la distribution. Il y a fort à parier que si Jacaszek lui même n’avait pas communiqué autour de la vraie « nature » de ses titres, personne n’aurait jamais fait une quelconque relation entre cette oeuvre et ce qu’elle doit au divin. Comme pour tous les disques, même si c’est plus facile avec certains, on peut bien sûr s’approprier l’essentiel de ce qu’on veut qu’ils contiennent et laisser de côté un concept, une thématique, qui flatte moins une sensibilité qui nous est individuellement propre. Epris par tant de liberté soudaine, accordons même à ce Pieśni le droit d’être sorti en 2014, puisque la confidentialité d’un 24 décembre a même retardé la sortie de l’édition vinyle à ces dernières semaines.
On retrouve au fond ici tout ce qui fait la griffe de Jacaszek, même si ses élans baroques se montrent plus discrets et furtifs, et qu’on regrettera forcément l’absence du processing noisy mais soigné qui avait fait toute la sève de Glimmer. Les fréquences blanches épidermiques et les fameuses ponctuations glitch qu’il apprécie tant (nous lui rendons bien) représentent à la fois la toile et une rampe de lancement pour ce qui est le véritable coeur de ce disque : le violoncelle de Ania Śmiszek-Wesołowska (déjà glorieusement présente sur Treny) et les arrangements de cordes (surtout le violon, même si on devine une harpe discrète sur Maj) de Dominik Dublinowski.
Si certains éléments digitaux et certaines erreurs électroniques volontaires font parfois basculer certains titres (Piosenka plus particulièrement, même si ont peut également citer certains passages de Maj) dans une atonalité un peu trop gratuite (comprendre qui a le seul mérite de l’être), il règne quand même ici un impressionnant travail harmonique entre la dominance des gammes mineures et la désarmante amplitude des plaintes du crin sur les cordes. Entre les grandes largesses du magnifique violoncelle et les attaques du violon autrement plus reserrées. En bref, des choix de composition extrêmement fouillés, qui font de N.M.P et Wiatr des titres juste beaux à pleurer, capable de faire réagir émotionnellement même des statues pétrifiées.
Plus surprenant, et réservé à un public autrement plus averti, Bogurodzica est introduit par des basses fréquences et un canevas ambient « tintinabulant » plutôt bien poussé (qu’on attendait plus forcément), qui souligneront ensuite le long lamenti catholique d’un Dominik Dublinowski (le violoniste, aussi responsable de l’arrangement des cordes) au timbre aussi grave qu’inquiétant. A titre très personnel, j’ai adoré, mais il convient d’admettre que les réfractaires à l’Ave Maria et à la Miserere (pour citer les poncifs) pourraient rester sur le bas côté.
Même si le clavecin intervient très furtivement, presque comme un gimmick, et que certains motifs rappelleront aux bonnes oreilles des travaux d’Arvo Pärt, Pieśni est bel et bien un album qui devrait plaire aux vrais suiveurs de Jacaszek.