Il y a actuellement une émulation certaine autour d’une scène drone/dark ambient française. Tant et tellement que même des sites plus adeptes de la buzzification éphémère que des contrées gloomy, voient en ceux qui la composent une relève de très haut rang. Etrangement, tout ce petit monde est intimement lié à Mondkopf et à son label In Paradisum. En plus du duo Saåad, des vidéastes de As Human Pattern, il faudra donc s’habituer au quatuor Insiden, qui compte dans ses rangs le très pertinent Somaticae. Vu en live en première partie de Roly Porter et Ben Frost (grosses, mais alors très grosses influences du dernier Mondkopf) lors d’une soirée organisée par In Paradisum (on est jamais mieux servi que par soi-même), malgré de très beaux moments et des climats joliment austères et nauséeux, leur prestation m’avait surtout parue peu maîtrisée et affiliable à toute cette scène droneuse de hipsters, qui confond très souvent musiques improvisées et branlette en public. C’est donc avec une réelle envie mais une bonne dose de scepticisme que je me penchais ces jours-ci sur leur premier long format : Above Us.
Quand le critique ciné ne sait pas quoi dire d’un film qui fleure bon la manipulation perverse plus ou moins inconsciente, l’analyse comportementale des schémas familiaux ou conjugaux, il qualifiera le long métrage en présence de bergmanien. Voilà qui marche très bien, personne ne s’en offusque et ça ajoute au binoclard aigri une dimension cultivée. Pour le dark ambient qui emprunte les instrumentations classiques lugubres, une manoeuvre presque identique est possible. Tu cites les références absolues que sont Ligeti et Berio. Avec deux ou trois adjectifs associés au royaume du sombre, tu peux même t’arrêter là. Les musiciens sont certes parfois responsables des clichés qu’ils véhiculent tous seuls. Pour ce qui est d’Insiden sur Above Us, il serait particulièrement malhonnête de réduire leur travail à ces deux influences, aussi probables soient elles.
Violoncelle, oscillateurs, royaume des graves d’enfoirés, oui, la recette rappelle les exploits du trio grec Mohammad. Et malgré un climat anxiogène très réussi , apte à retranscrire les ambiances propres aux donjons malodorants où la questionnette inquisitrice trouve rapidement ses réponses à coup d’objets contondants et de flammes moyenâgeuses, Le puits et le pendule ne m’a pas subjugué. Avant tout parce que je pense que dans le genre, et avec à peu près le même procédé, le combo précédemment cité a déjà tout dit. Je lui préfère donc sans surprises les couloirs venteux de La tour, dotés d’un pouvoir de suggestion délicieux et autrement plus original, qui trahissent un très gros talent pour ce qui est du processing des sources et de l’agglomération de fields recordings très aboutis. Point d’excès de stratification dans la compo ou dans le mix, et oui, c’est ce qui souligne et fait sonner si bien chaque détail.
Comme un navire pris dans la glace est à n’en pas douter le plus beau titre de ce premier album. Parce que surplombant un magma lustmordien du plus bel effet, le quatuor y débride ce qu’il sait faire de mieux : les tempêtes électriques où l’on perd avec bonheur le goût des sources d’origine. Malgré les apparences, la prise de risque y est totale, toujours sur l’arrête du borderline, où la frontière entre l’excellence et l’onanisme est particulièrement mince. La réussite est ici avérée. chapeau bas. En suite de ce dernier, Symbols déclinera pratiquement le même seuil de qualité à coups de mécanismes industriels moribonds et primitifs, bien aidés par des drones subtilement épurés. Idem pour Reikä et ses guitares nauséeuses, où l’ensemble appuie moins sur les subs sans jamais perdre en intensité.
Arrive alors Sitting Near an Imaginary River, qui outre son titre convenu au possible s’élève comme le symbole absolu du morceau qui ne sert à rien. Malgré tout le respect que je dois aux musiciens, je trouve qu’on est ici dans le vide vertigineux et le degré zéro de la composition. Là où pour se trouver une caution vaguement mélancolique, certaines formations ambient usent de redondance mélodique et reprennent leur véritable posture de punks du Petit Clamart, arborant chemises Façonnable à carreaux et vapotant du ice tea et des cupcakes sur des meubles en teck durable. Bref, next, mais comble de l’ironie, ce titre particulièrement horripilant éclipse une sortie finale particulièrement réussie avec pourtant des volontés similaires (Above Us). Dommage. Bordel.
D’une durée parfaite (une fois qu’on aura cramé la plage 6 à l’acide) pour le genre, Above Us rejoint joliment le rang des sorties In Paradisum. Extrêmement bien produites mais très (trop ?) référencées, elles dressent depuis déjà un petit moment de très belles promesses et rattrapent certaines approximations commises en live. A écouter sur format vinyle, munie d’une installation de qualité. Le bandcamp du label n’affiche plus que 6 exemplaires disponibles. Que les prétendants fassent vite.