Ce n’est un secret pour personne, nous cumulons les lubies, nous cultivons l’obsession avec une assiduité toute particulière. La Techno suédoise est probablement l’une des plus flagrantes ces derniers mois – ça et le culte gaussien que Lexo voue à Simon Bainton et Alex Smalley. Bref, une fois n’est pas coutume, on vous rapporte des nouvelle du Grand Nord avec un nouveau side project quasi-confidentiel de notre ami Varg sur le non moins confidentiel label Sorgenfri Inspelningar. Après un détour chez Semantica, le prodige du hardware revient cette fois-ci sous le nom de Grav avec un mini album du nom de The Master’s Prayer In Six Articles. Et autant vous dire qu’on tient là une des plus consistantes rocailles que le jeune homme ait poussées à ce jour. Difficile à imaginer vu la qualité de ses précédentes releases – cf. la preuve par quatre ci-dessous – et pourtant, le suédois n’en finit pas de peaufiner son Ambient \ Techno aux lèvres gercées.
Son dernier opus, mini album de 6 tracks reste fidèle aux principes qui ont contribué à la naissance et au succès du « son Varg » : des productions 100% analogiques, des tracks enregistrées live directement sur bandes magnétiques – via Reel to Reel ou comme ici via Sankyo Tape Deck –, sans overdubs ni additifs d’aucune sorte. Comme nous vous l’avions déjà dit, l’orthodoxie analogique résurgente n’est pour nous qu’une fleshlight de luxe pour une flopée d’imbéciles dont la seule quête est d’élitiser une musique qui n’a jamais eu vocation à l’être. Non, ce que nous saluons ici c’est l’extraordinaire inventivité d’un artiste qui, en utilisant des instruments usés jusqu’à l’ossature, réussit à en tirer une musique distinctive. Une musique qui ne répond à rien ni personne et n’évolue que selon ses propres schèmes, tortueux et autarciques. Et ce ne sont pas ces 6 nouvelles excursions gothiques et vespérales qui démentiront nos propos.
L’introduction, The Sorcerous Transmutation, field recording portuaire agrémenté de nappes doucement menaçantes pose le premier jalon de la fugue vers le Lointain boréal, cryptique, sylvestre et possédé. Mandrake, The Headless Rider Of The North, transcrit la régularité contrainte du galop grâce à une ligne de percs tressaillante, opiniâtre, les sabots empêtrés dans une bassline visqueuse et tenace d’une densité peu commune. Peu à peu, l’opacité environnante se lève pour laisser deviner un revirement des plus inattendus. Nous voici extirpés des affres des sous-bois, la rétine crevée par l’arrivée des vocaux fugaces. L’apparition de l’aube brulante à l’orée du cloaque, portée par des chœurs d’une lucidité antéchristique. Récit d’une rencontre fortuite avec le Porteur de lumière, clair-obscur tribal, majestueux. Du putain de Rembrandt, vous dit-on !
La track suivante, Burning Ghostmother Hovering n’est malheureusement pas du même acabit et ne suscite finalement que peu de choses. Nous noterons malgré tout la formation de jolies sinusoïdes de vantablack et le flottement fantomatique de quelques notes au delay fort à propos. Mais, ne vous en faites pas, il y a bien plus intéressant à voir par ailleurs, continuons donc la visite. A Troop Of Phantoms In Knightly Armor, Skeleton Faces Grinning From Their Helmets en surprendra plus d’un puisque d’entrée de jeu, Varg pose un 4×4 kick \ snare massif auquel il ne nous avait pas habitué – lui préférant généralement des hybrides du 3×3 et 4×3. Empreint d’un minimalisme qu’on ne lui connaissait pas non plus, la track prend le temps de laisser s’incruster chaque détail dans nos synapses, chaque sonorité avant d’envisager l’introduction de l’élément narratif suivant. Des synths habilement relégués au second plan, quelques gimmicks et remous décousus pour mieux nous leurrer, pour mieux asséner le coup de Grâce à la mi-parcours. Le minimalisme laisse alors place au lyrisme contenu d’une mélodie à la beauté désarmante. Tout est ici d’une singulière précision, aucun détail n’est laissé au hasard. Une leçon de classe, d’Ambient Techno, de Techno tout court.
Pour conclure, Varg, chez qui le sens de l’introduction et de la conclusion a toujours été une qualité première, enterre le morgenstern un court instant avec The Pale Faces Of Norrbottens Native Inbreds. A l’instar des concertos pour 303 tels que Wizard Howling With The Silver Box – cf. ci-dessus – et Katarina Bure, il vient ici nous conter le paisible bruissement des épicéas, l’étrange sérénité des soleils de minuit le temps d’une parenthèse béate des plus délectables. In fine, nous ne serions que trop vous recommander l’achat de l’objet qui s’inscrira sans peine dans la liste des sorties marquantes de l’année 2014.