Flau, Home Normal, Progressive Form. En cinq ans, Geskia (avec ou parfois sans !) a été accueilli par trois des plus sérieux labels que compte le Japon. Pour finalement cette année s’ouvrir les portes du dernier cité, qui avait par ailleurs publié les deux premiers albums d’Ametsub. Ouais, rien que ça. Ceux qui nous lisaient à l’époque de Chroniques Electroniques savent qu’on a toujours gardé un oeil sur ce beatmaker, qu’il officie dans le glitch-hop inspiré (Eclipse 323) ou l’electronica rêveuse (Muon). Avec Silent of Light, sorti il y a tout juste un mois, il confirme tout le bien qu’on a toujours pensé de lui.
Loin de toute complexité gratuite, cet album renoue avec le caractère organique bien trempé qu’on observe aujourd’hui de moins en moins sur les rivages de l’IDM ou de l’electronica. La luxuriance musicale des beatmakers japonais n’est certes plus à démontrer, mais je m’avoue toujours surpris face à tant de subtile spontanéité, agrémentée d’une bonne dose de douce folie créatrice. Avant tout parce que les albums qui me donnent envie d’aimer mon prochain et de lui concocter des confitures de fruits blancs ne sont pas nombreux. Ni ceux qui me poussent à militer pour la sauvegarde des bébés phoques ou du gypaète barbu. Mais devant tant de textures aux teintes bigarrées ne sombrant jamais dans le trop plein criard, je redeviens ce jeune adulte amateur d’electronica elfique et naïve. Toutes comparaisons avec Ochre (en errance depuis la fermeture de Benbecula) ou même avec Wisp (do you remember Rephlex ?) sont certes des plus hasardeuses. Toujours est-il que Geskia peut se réclamer de la même richesse mélodique et du même goût pour le hors piste organique. Il n’est plus le jeune padawan contraint à rougir devant l’accueil réservé à son compatriote Ametsub. Silent of Light prouve même qu’il a atteint un niveau semblable.
Pourtant, les deux premiers titres continuent de me laisser perplexe. Sans être réellement mauvais, ils se perdent un peu dans des aurores bancales, dans des schémas tortueux aux destinations ubuesques, qui laissent penser que leur géniteur ne sait pas trop où il va. Mais en deux glitchs et trois subtils bruits blancs en introduction, Contract Contrast et son intelligent beatwork cristallin effacent toutes les réserves. On retrouve alors la fantaisie propre à la lointaine enfance, ingénieuse et curieuse de tout. Comme ce travail (semblables à des scratchs numérisés) qui morcelle et froisse gentiment la nappe sans jamais lui faire perdre de son élasticité.
Le japonais déploie une variété de textures chaudes assez impressionnantes. Balance des spirales synthétiques comme on libère les feux de la Saint Jean. Un technicien pyromane au bal des pompiers, qui ne serait là que pour réjouir la faune rassemblée. On sent bien que le sieur a fait ses classes dans les rangs du hip-hop pour geek. Il s’amuse, greffe une voix (National Traditional), un piano (Torch Approach), dérape encore (BGMREM) mais reste toujours extrêmement ludique pour l’auditeur. Les oreilles éclairées débatteront probablement sur la place du soft et du hardware. Un peu plus loin des échanges, on constatera simplement que virtuels ou non, les synthétiseurs sont extrêmement bien exploités. Et qu’aucune section d’instruments (cordes, cuivres, pianos) n’est épargnée.
Si cet album est si bon, c’est avant tout parce qu’il parvient à allier également une variation certaine aux différentes rythmiques, réservant aux issues de ses tracks des contours inattendus. Voilà que tout pétille au milieu des filtres, des sorties de routes qui reviennent revigorées au thème. Dis Love et Glare Trigger, malgré des voix dispensables, sont d’excellents moments à présenter en exemples, surtout pour ce qui est de l’intégration qu’ils réservent à cette surprenante harpe synthétique. Le virvoltant Planet Plan ne doit pas être oublié non plus au rayon des réussites totales. Si Xtra Schema ne trouvera que peu de place au panthéon du genre, Creativity Quality effectuera en fermeture une synthèse mignonne, mélancolique et rieuse (avec piano) de l’ensemble entendu jusqu’alors.
Geskia! livre aujourd’hui son album probablement le plus riche et le pus élaboré (ce qui ne veut pas dire le meilleur) à ce jour. Le mastering inspiré du bien connu Pole n’y est sans doute pas pour rien. Silent Of Light est un très bel album, aussi chaud que rafraîchissant, qui ravira les amateurs inspirés de fantaisie organique. A bon entendeur, sayonara.