Le nom de Gabriel Saloman évoque irrémédiablement le duo Yellow Swans qu’il formait avec Peter Swanson. Ce duo, c’est celui qui faisait surgir la beauté derrière le bruit, qui sublimait le fracas de ses propres armes quand tout crame. Celui qui dans sa traversée des murs du son a transmis au moins autant de révélations. On ne va pas maintenant épiloguer longuement sur leurs différents faits d’armes. Leur dernier en date, Going Places, est encore dans toutes les têtes, et demeure à jamais comme un des plus beaux joyaux jamais sortis sur le label Type. Gabriel Saloman a entre autre depuis rejoint les rangs de Miasmah, label dirigé par Erik K. Skodvin (Svarte Greiner, Deaf Center), lui aussi ancien pensionnaire de chez Type. J’avoue avoir acheté son dernier album (Adhere) à l’aveugle, et sans parler de déception véritable, je dois avouer que sa substance trop ostensiblement émotionelle ne m’a pas transpercé comme j’avais pu l’espérer. La faute à quoi ? La faute au permanent retour vers Going Places, sans doutes, et aussi probablement ma propre incapacité à l’en détacher. Bref, Soldier’s Requiem est sorti il y a quelques semaines, et il trouve en cette période de fêtes un écho tout particulier à mes oreilles.
Des cohortes de laïques se prosternent devant des dindes farcies en ces jours de symbole de la Nativité. A des milliers de kilomètres de ces considérations cholesclérosées, Bethléem est encerclée. Par un mur, des chars et des barbelés. Etrange paradoxe, qui réveille chez certains aigris des instincts guerriers, heureusement apaisés par un disque qui offre un requiem cavalier comme alternative aux cantiques de l’universalité.
Quatre actes, pas un de plus, pas un de moins, formant une seule et unique longue phrase crachée comme un glaire, et dont les éléments de ponctuation sont des stries lacérant des ambiances propices à l’attente. Au doute et à la mesure aussi, à tout ce qui peut submerger et étioler le désarmant courage de celui qui, la fleur au fusil, patiente vaillamment et ravive ses propres braises dans la tranchée. Le piano, la guitare ou la batterie. Lors du final, un matériel autrement plus analogique aussi. Le choix des armes, pour fendre l’ennemi.
Entre indolence et dissonance, effets de pédales, répétitions et séries, le piano de Mine Field dissémine des signaux de fumée dans un épais brouillard. C’en est presque psychédélique et rassurant dans l’issue indécise. Feedbakcks, larsens laineux, gravité magnétique et aspirante. Spectacle aussi magnifique et terrifiant que le bombardement aveugle et sourd d’une ville la nuit, où l’on célébrerait une union naissante sous les obus.
Marching Time est un rappel. Nous sommes sur un théâtre de guerre. Ce solo de batterie, cavalier et très axé sur le jeu au pied, exprime très subtilement l’urgence et l’hésitation. Dépêche toi de vivre ou dépêche toi de mourir. N’aime pas la guerre mais gagne la tienne. Accepte d’être un animal pour un jour, peut-être, pouvoir t’étendre sur ces inoubliables courbes dont tu faisais tout un monde : le berceau de ton humanité.
Puis vient la pluie, pas celle de Burial, la vraie. Celle qui captée au plus près du sol, devrait laver tout le chaos mais qui en réalité, ne fait que disperser le sang dans la boue. Une guitare ensuite, plaintive et lancinante, qu’on portera comme une écharpe pour ne pas être transi par le vent. Il faut y aller maintenant. Tempérer sa propre peur, pour ensuite pouvoir donner la mort et s’autoriser à vivre. Sept minutes et quarante secondes de marche avant la ligne de front. Juste un instant, ou une éternité. Toutes les armes se rassemblent pour transcender le moment, avant que la première déflagration ne soit tirée. La guitare reste bienveillante mais les distorsions aux alentours font bouillir l’adrénaline. Le temps est suspendu, aux flammes et aux alluvions. Le soldat contemple ses frères embrasser le sol, transpercés en plein front, s’effondrant sur des ennemis dont ils ne connaissaient même pas les noms. Un peu moins de trois minutes, peut-être les dernières à passer, pour renoncer à tout ce qu’on a pu aimer. Ou pour céder, aux plus bas instincts de la survie.
Perds confiance, car chaque jour n’est qu’une trêve entre deux nuits. Espère, car chaque nuit n’est qu’une trêve entre deux jours. Boots on The Ground est à n’en pas douter la pierre angulaire de cet album très conceptuel. Probablement une des plus belles pièces entendues cette année.
Cold Haunt. Le broullard revient, la sombre nappe aussi, plus épais encore, à peine bouleversés par l’écartellement de certaines stridences. Ou comment contempler avec un oeil neuf la désolation ambiante. Et trouver ça beau, sans un instant s’en sentir coupable. Le choix de la vie, comme unique résolution du conflit.
Soldier’s Requiem est une oeuvre radicale et pénétrante à écouter à très haut volume. Vous pouvez désormais retourner festoyer dans l’opulence, vous soustraire au sursis. Mais le silence n’est pas un oubli.