Quand le contraste des guitares et de l’électronique transite par des états liminaires, interrogeant la précarité d’un équilibre.
Evoqué récemment dans nos lignes avec l’album Unstable de Porya Hatami, le label italien Nephogram a sorti en septembre dernier l’album de Gridshape. Un projet conduit par deux hommes, Francesco Saguto et Franz Rosati. L’un à la guitare, le second à l’électronique. Et Taylor Dupree au mastering. Si c’est un premier album pour Gridshape, Franz Rosati n’en est pas à sa première sortie. Il y a eu Theory Of Vortex Sound l’an passé, ou ses travaux sous les noms de Pleisochronous et Fields. Il a aujourd’hui fait le choix – pas forcément le plus simple – de sortir cet album commun sur son propre label. Une manière, finalement, de consolider un peu plus encore les fils conducteurs de Nephogram.
Des arpèges virevoltants d’une guitare acoustique au magma électronique brumeux engloutissant la chair, l’album est sous-tendu par une narration émanant de l’improvisation. La progression dévoile un point d’articulation en terrain liminal. Quelque chose de stagnant, juste sur le seuil, une charnière nichée quelque part au cœur d’un niveau intermédiaire. Un album-passage, en quelque sorte, et dont le déroulement réclame de suivre l’ordre de la déconstruction narrative. Car ce qui règne ici, c’est bel et bien une précision incisive dans le chaos.
In a pre-liminal state. Une guitare qui distribue ses notes fluides et sereines. Parallèlement et imperturbablement, avance ce bruit, mimétisme d’une menace latente. Une intrusion. S’en suit une accélération, une hausse de volume. Le grésillement devient grondement. C’est une rencontre avec ce qui trouble, avant une rupture de silence. Progression through transmutation. Calme revenu, notes caressantes. L’électronique regagne sa place progressivement, et se mue en voix vestiges, voire animales. Le changement de substance s’opère. Tremblement. Des choses qui se désorganisent et fascinent. Des poussées de bruit brut venant brûler les restes d’une carcasse abandonnée au lance-flamme.
Arrive alors In a liminal state. C’est une entrée dans une zone d’indétermination, de distorsion sonore. Une désorganisation complexe et méticuleuse. Une désorientation équivoque nageant dans un fracas métallique, abreuvée de brisures et d’éclatement de soi. On reste là, écartelé sur le seuil, ce terrain qui ne relève plus de rien, dans l’attente de retrouver une place quelque part. Ce qui viendra avec Progression through reposition et ses contours de silence. Le changement de seuil, et d’état. Les grésillements rappellent la modification de sensibilité des afférences. L’album se clôt sur In a post-liminal state, magnifique dialogue entre une guitare toujours éclatante et des griffures incandescentes qui finissent par mettre le corps en charpie, au point de non-retour.
Gridshape offre ici un album impressionnant de contrastes entre acoustique et travail électronique. Pas d’affrontement entre les deux, mais une mise en valeur mutuelle, une interaction éblouissante qui hisse avec aisance une guitare dans les profondeurs venteuses d’un brouillard électrique.