C’est un des secrets les mieux gardés de fin 2014 et aussi, certainement, une des plus réjouissantes perspectives de 2015. Soyez prévenus, le label BAROC casse des gueules et sectionne des artères fémorales avec une constance rarement égalée. La jeune entreprise colonaise envoie tout valser à grand renfort de chassés dans la table à laquelle végète l’assemblée souffreteuse des mastodontes de la House et de la Techno – ceux qui, il y a encore quelques années de cela, jouissaient d’une position oligopolistique plus qu’enviable et faisaient le bonheur de nos amis les disquaires. Allez, faîtes un effort, au fond, vous savez bien de qui on parle.
Question line up, les sorties du label font la part belle aux jeunes pousses d’une scène internationale qu’on aimerait entendre plus souvent, discrète mais talentueuse, savante mais teigneuse. Prodigieusement crues et imbibées de bidouillages analogiques, les productions promues par BAROC tournent autour de la House, dénudée et distordue, de l’Acid, Hofmannien de confection et de la Techno, façon ruelle sombre et cutter luisant et ce sur format vinyl uniquement, s’entend. Fait marquant, depuis ses débuts, pas un seul impair n’est à déplorer pour le label. Pour vous en convaincre, allez donc vous frotter aux giboulées Acid de Paperwork ou louvoyer au gré de la Deep House vénérienne d’Unfinished Portraits. Ca y est ? Vous commencez à sentir l’embuche ? C’est bien, mais il est trop tard.
0 bullshit, 0 concessions, 0 fucks given, c’est un peu la devise de la maison, un truc de puriste en quelque sorte. Et ça déroule du white label tamponné à la main, de la référence catalogue en guise de titre de sortie, du Untitled à chaque nom de track. Bref, soyons concis, BAROC c’est le truc le plus Punk qui soit arrivé à la musique électronique depuis les premières releases de L.I.E.S.. Autant dire que question historique et notes biographiques, on passe notre tour. Tout ce qu’on peut vous dire sur Foreign, auteur de la sortie qui nous intéresse aujourd’hui, c’est qu’il s’agit d’un jeune homme portugais dont c’est la première sortie – et c’est à peu près tout. Les 4 premières sorties nous avaient étalés ; la 5ème n’est ni une civière, ni une main tendue mais bien plutôt une combinaison de vigoureux crochets décochés pour mieux nous laisser KO, flottant dans le caniveau, un canif dans la rate.
De prime abord, retenons deux points distinctifs des compositions de Foreign. Le premier, l’instabilité des développements, soit ce sentiment d’écouter les compositions d’un producteur en proie au doute, un artiste dont les idées s’entassent plus vite que ses doigts ne parviennent à triturer ses claviers. Notons chez le jeune homme un sens assez inouï de la scansion, fêlée, de la césure démente à l’instar de la première track, A1, Techno brutale entrecoupée d’improbables breaks – ces claviers à l’eau oxygénée sortis de nulle part, venus rincer le cambouis amoncelé. Ces twists confèrent aux tracks de l’artiste cette touche d’insolence, ce cachet DYI au majeur levé qu’on aime tant. Dans ce registre notons également la brillante B1. Entre pesanteur percussive et pérégrinations synthétiques, Foreign opte une fois de plus pour une narration non linéaire, une narration morcelée comme née de réflexions conflictuelles, de pensées aléatoires agrégées au sein d’un discours d’une cohérence inattendue. Esthétique de l’indécision.
Second aspect distinctif, l’attrait du jeune homme pour les signaux hautes fréquences et la saturation. Les sonorités sont ici soumises à la torsion, à la distorsion. A cet effet, l’écoute de la seconde track A2, est assez révélatrice. Nous nous retrouvons balancés en plein maelström, dans l’antre de la folie, enserrés par le blast de kicks gargantuesques d’un côté et les stridences frénétiques d’un clavier halluciné de l’autre. Sur la quatrième et dernière track, B2, Raw House lugubre, un rien acidulée, Foreign réaffirme ce même goût pour les morphismes sonores douloureux voire éprouvants, ceux-ci même qui transforment l’écoute de l’intégralité du EP en épreuve de force finalement salvatrice.
Foreign nous embarque avec lui pour une virée forcenée, une équipée urbaine entre crépuscule et aube sur fond de Raw House, de Techno bagarreuse. Un EP sous forme d’hymne aux rangers défoncés, aux perfectos bardés de pins, aux tatouages bon marché, aux descentes à la batte à 4 du mat’. 26 minutes de sueur, de salive et d’effusions pourpres pendant lesquelles le portugais nous trimballe de bars en rixes, pour finalement nous abandonner, fiévreux, sur les rives du jour levant, phalanges et pommettes boursoufflées, à piétiner les cendres d’une quiétude consumée, à l’affût du prochain fixe d’adrénaline.
Punk’s not dead.
Sid Vicious was innocent.