Quatre ans. Quatre ans seulement et déjà que Christoph Berg ainsi que son projet Field Rotation inondent nos oreilles d’un romantisme sombre. D’un esthétisme électro-acoustique salué unanimement par la critique et par ses pairs, qui pousse aujourd’hui jusqu’à des comparaisons pas volées avec Max Richter. Je me souviens le premier titre que j’ai entendu venant de lui. C’était Regenzeit II sur la compilation Imaginary Friends par Nova sur Ultimae, qui comptait également les participations de gens aujourd’hui plus que crédibles dans le sérail ambient : Offthesky, James Murray et d’autres encore. Vint très vite ensuite en 2009 son chef d’oeuvre Licht und Schatten (sold out de chez sold out depuis belle lurette), paru sur un Fluid Audio qui ne se nommait pas encore Facture. Suivront ensuite un excellent EP drone/ambient chez Hibernate (Why Things Are Different), son best seller Acoustic Tales (Fluid Audio) et un autre album plus méconnu, encore chez Hibernate : And Tomorrow I Will Sleep. Autant d’efforts qui achevèrent de convaincre l’expansionniste Denovali de ré-éditer pratiquement toute sa discographie en éditions « deluxe ». Comme ils le feront par la suite pour des artistes comme Talvihorros, Greg Haines, ou encore thisquietarmy dans un registre très différent. Toute l’attention portée à sa musique n’empêche pas Christoph Berg de demeurer humble et accessible. J’en veux pour preuve les nombreuses compilations auxquelles il participe régulièrement. A peine quelques mois après son sublime Paraphrases (signé sous son nom véritable, la chronique est ici), Field Rotation revient avec Fatalist: The Repetition of History. Tout un programme, déjà un évènement.
Oeuvre propice au questionnement nocturne et au retour sur les limites de notre moi, Fatalist: The Repetition of History invite à contempler bien plus que le cycle des saisons. Le temps qui passe, mais aussi certains réflexes qui persistent. Une galerie de lieux trépassés, des visages informes qui dansent dans la pénombre autour d’une proie facile : le poids des souvenirs. Ceux auxquels on aimerait échapper, et ceux qu’on souhaiterait avoir vécus. De cette fuite en avant subsistent l’obsession du recommencement, la mise en abîme de ce qui ferait frein au bonheur, un vulgaire pansement pour masquer l’addiction à l’erreur. Doit-on être le témoin de notre propre mort pour enfin accepter de vivre ? Evacuer les récifs du fleuve qu’est la vie, crier gare aux néfastes rubis qu’on lustre dans l’attente de l’absente ? Plus rien ne s’oppose à la nuit, plus rien ne justifie qu’on ne prenne pas ce train à travers la plaine. Message d’espoir même en temps de peine. Debout sur le trottoir, la zone de Mathias Enard.
Si il y a bien un album parvenu à fusionner aussi bien l’ambient, le drone et les compositions classiques modernes dans la discographie de l’allemand, c’est celui-ci. Si le piano et le violon n’en sont pas absents, ils se noient par contre volontairement dans la trame ambient, accrochés dans les drones tels des fragments de ciel. The Uncanny lève le voile sur les cinq actes de l’histoire, où la vie ne serait qu’une somme de répétitions avant une mort qui n’en supporte pas. La voix damnée de Màri Solaris, le violoncelle de Aaron Martin sont les duettistes exposés d’une Valse Fatale où on acceptera de tourner sur soi-même comme le veut la tradition, avec des partenaires multiples mais sans visages à imprimer ni cous à étreindre. Les poussières font sursauter le micro-sillon, l’âtre de l’existence est tel un vieillard endormi : la répétition de l’attaque qui l’emportera (wesh Mauriac). Entre drones frondeurs et larsens laineux, c’est bien sur Fatalist que toute la palette de textures de Field Rotation trouvera son point d’orgue, bien aidé il est vrai par le mastering implacable de l’équilibriste Nils Frahm.
The Repetition Of History signe le retour du violoncelle de Martin, et des grappes d’ivoire qui gagnent en durée et en profondeur à mesure que la vague approche du derme de la berge. Une bouteille jetée à la mer qui n’aurait pour seul destinataire que son propre abîme. Le saut de la foi. En dieu, en un Autre ou en un après apaisé.
Si tu me cherches, c’est que tu m’as déjà trouvé. Repens toi, tu seras sauvé.
Freud est bien seul (et bien trop fou) pour guérir les maux de l’humanité. Dans une dernière étreinte sombre et romantique, The History of Repetition est apte à s’en charger. L’humain et ses regrets ne sont plus que poussière. Ce qu’ils doivent accepter de demeurer pour trouver enfin leur place dans l’univers.
Quatrième album de Field Rotation (je compte Licht und Schatten comme tel), Fatalist : The Repetition of History est un disque magnifique, habité par le doute et une sombre beauté. A écouter de nuit, seul en foetus, ou avec l’Autre en question à qui se confier.